Dans si c’est un homme Primo Levi[1] raconte sa relation de détenu de camp avec Lorenzo, ce civil italien qui travaille avec les prisonniers et qui, sans raison apparente, lui apporte tous les jours une gamelle de soupe ; sans raison apparente, sans intérêt personnel, simplement parce qu’il est un homme. Et Primo Levi d’écrire « A lui, je dois de ne pas avoir oublié qui moi aussi j’étais un homme » La dignité humaine est radicalement en jeu dans la relation sans calcul et désintéressé où Lorenzo s’engage au péril de sa vie.
Impossible d’oublier ces paroles. Si l’autre ne peut être reconnu comme un homme alors c’est ma propre dignité qui est atteinte. La mienne.
Ce qu’Emmanuel Lévinas nomme la vocation médicale de l’homme. Ne pas laisser le prochain à sa solitude, à sa mort.
La dignité relève de l’affirmation éthique, indépassable, que l’humanité en l’autre est une fin en soi. Sa dignité à lui me précède et appelle ma reconnaissance pour que je sois digne de porter de beau nom d’homme. Conditionner cette dignité à des qualités de son être, à des circonstances et des possibilités, c’est je le crois, se retrouver dans ce qu’évoque le grand philosophe Éric Weil, redevenir des « brutes ».
Tant que l’humain est vivant, d’un souffle comme à plein poumon, il est digne d’une dignité principielle. Ceux qui meurent dans la rue, dans les innombrables champs de guerre de la planète, dans les barbaries humaines ou l’extrême dénuement, sont tous des femmes et des hommes dignes. Rien d’autre.
Alors qu’existe, une fois encore en notre pays, un débat sur l’euthanasie ou le suicide assisté est bien normal dans une société démocratique. Et les avis peuvent, doivent être complexes, étayés. Mais que soit confisquée cette dignité intrinsèque à l’humain, qui lui est coextensive, n’est pas supportable ; d’autant plus quand la pandémie martyrise tous les pays du monde et plonge tant de familles dans le deuil et le chagrin.
En fin de compte où est la question de la dignité ? sinon du côté de la société. Car c’est la société qui n’honore pas sa dignité quand elle commence à s’approprier ce que serait la dignité de l’autre. Quand elle ne considère pas toute vie d’homme comme essentielle à sa propre humanité. Quand elle néglige le soin, la proximité, la solidarité, l’engagement pour le plus fragile. C’est elle qui perd sa dignité quand elle se laisse aller à penser, pire à faire, comme s’il était des êtres qui encombraient notre soi-disant marche en avant, notre progrès.
Alors oui parlons, débattons. Tout cela est légitime si c’est avec respect. Mais par pitié pour les vivants et les morts, en ayant pour unique prétention de servir l’humain en toute chose. L’humain toujours digne.
Véronique Margron op.
[1] Si c'est un homme P. LEVI, Julliard 87
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