Deux Français sur 3 ne sont pas allés voter dimanche pour le premier tour des élections régionales et départementales. Un taux d’abstention de 66,1 % selon les estimations Ipsos/Sopra Steria pour France télévisions. Comment expliquer une si faible mobilisation ? Des pistes de réponses se trouvent peut-être dans la complexité de ce scrutin, la difficulté à en comprendre les enjeux. Une élection en somme pas vraiment lisible ni séduisante.
Difficile d’y voir clair dans les compétences des départements et des régions. Qui s’occupe de quoi ? Les régions s’occupent notamment des transports, des lycées, du développement économique. Les départements ont la charge des collèges mais aussi de l’action sociale, notamment du versement du RSA.
Et pourtant, un thème s’est invité dans la campagne : la sécurité. Aucun rapport avec la compétence des régions et des départements. Mais cet enjeu a été porté par de nombreux candidats, notamment à droite et du côté du Rassemblement national, qui ont particulièrement parlé de sécurité dans les transports. De quoi ajouter un peu de confusion. "La campagne a été saturée au niveau national par une polarisation sur les enjeux qui ont peu à voir avec les compétences comme la sécurité. Ça laisse peu de prise à la décentralisation. [...] On aurait pu débattre un peu de ces sujets publiquement. Cela aurait pu permettre d’intéresser les citoyens", analyse Olivier Rouquan, politologue, spécialiste des collectivités locales.
Des citoyens qui ont pu être perdus face à ce double scrutin. On votait dimanche à la fois pour les élections régionales et pour les élections départementales. Ces dernières ne concernaient pas Paris, la métropole de Lyon ni la Corse où il n’y a pas de conseil départemental. Pas de conseil régional non plus pour la Corse mais un conseil exécutif. Partout ailleurs, les électeurs ont pu voter pour un binôme, composé d'un homme et d'une femme. Deux élections donc deux bulletins à mettre dans l'urne. Là aussi, cela peut manquer un peu de lisibilité. "Il y a une difficulté d’appréhension de ces scrutins et de ces pouvoirs. Je pense même que la simultanéité dans l'organisation de ces deux scrutins ajoute à la confusion. Ce scrutin jumelé ne sert pas la visibilité des conseils départementaux”, estime Thomas Frinault, maître de conférences en sciences politiques à l’Université Rennes 2.
Pour comprendre les compétences des régions et des départements, il faut d'abord s’y intéresser et dépasser souvent des termes très techniques. Ce qui se décide dans nos conseils départementaux et régionaux ont des conséquences sur notre quotidien, nos déplacements, les aides sociales perçues. Faut-il alors développer encore plus l’enseignement sur nos institutions ? "Il y a encore beaucoup de Français qui connaissent mal leurs institutions alors qu’avoir une pleine connaissance de ces institutions c’est pouvoir s’en servir, mieux connaître ses droits. On n'a pas eu de grand débat sur le rôle des régions aujourd'hui dans le modèle de la décision publique. Quel dommage au moment où la crise des 'gilets jaunes' et du Covid ont toutes les deux souligné que le modèle de la décision venant d'en haut était en grande difficulté", affirme Bruno Cautrès, chercheur au CEVIPOF et enseignant à Sciences Po Paris.
L’un des autres enjeux soulevés par l’abstention aux élections régionales et la façon dont la campagne a été menée par les candidats : c’est l’hyper centralisation dans le pays, le fait que le système politique de la France repose sur un pouvoir présidentiel, dans lequel beaucoup de choses se décident à Paris. Depuis plusieurs années, plus de pouvoir a été accordé aux régions mais tout revient toujours à la présidence de la République. "La pratique du pouvoir et le fait qu’on finisse par tout ramener à la présidence de la République rend invisible ce qu’il se passe ailleurs. C'est une perte de la qualité démocratique que de tout ramener à la figure présidentielle. Dans les régionales, on a beaucoup parlé de certains candidats parce qu'ils avaient à l'avance annoncé qu'ils voulaient être présidentiables. C’est un prisme qui asphyxie notre démocratie", déplore Olivier Rouquan.
Certains politologues voient dans cette forte abstention un besoin de revoir notre système politique. "D'une certaine manière, les Français se sont dit 'ces régions et départements ne sont pas très importants, on ne va pas voter'. Il faudrait à mon avis une réforme de décentralisation. C’est vraiment une vraie réflexion démocratique qu’il faut commencer à enclencher", assure le politologue Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS.
La dernière loi en date concernant la décentralisation c’est la loi NOTRe de 2015. Elle a permis de transférer des compétences des régions aux départements. Mais le pouvoir des régions françaises reste très faible, bien plus qu’en Espagne, où les régions sont relativement autonomes. Bien plus faible encore qu’en Allemagne, où les Lander ont leur propre gouvernement.
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