Ces violences nord-irlandaises sont le résultat d’un cocktail aux multiples ingrédients. Tout démarre, en juin dernier, avec les funérailles de Bobby Storey, un ancien membre de l’IRA, en présence de 2 000 participants nationalistes accusés d’avoir enfreint les règles de distanciation sociale, en vigueur à l’époque. La police a décidé, début avril, de ne pas poursuivre des membres du Sinn Féin, le parti irlandais pro-réunification. Ce qui a provoqué la colère des unionistes, qui se sentent déjà trahis par le Brexit. Notamment sur le protocole nord-irlandais.
Pour Karin Fischer, enseignante-chercheuse à l’université d’Orléans, spécialiste de l’Irlande du Nord, la fin du libre-échange a entraîné une grande question qui allait envenimer les choses. "Où est-ce qu’on met la frontière commerciale ? Entre les deux parties de l’Irlande ? Mais ça, c’était contraire à l’accord de 98 [NDLR : l’accord du Vendredi saint]. Ou dans la mer d’Irlande ? [...] Et l’accord, ça a été de la mettre à cet endroit-là, ce que les unionistes n’acceptent pas", analyse-t-elle.
Et la question de la frontière a refait surface dans le débat politique, interrogeant à nouveau l’idée de l’appartenance à un même pays. Pour David Mitchell, spécialiste de la résolution du conflit et de la réconciliation au Trinity College Dublin de Belfast, ces violences sont le signe d’un malaise plus large chez les jeunes : "Les gens, et particulièrement les jeunes, n’ont pas grand-chose à perdre. Parce qu’ils n’ont pas l’impression d’avoir de perspectives d’emploi. Et puis, les paramilitaires restent puissants dans de nombreux quartiers. Certains jeunes les regardent avec admiration. Et ils les rejoignent parce que cela leur donne une identité, du pouvoir".
Et ces incidents font resurgir le spectre des trois décennies sanglantes des "Troubles", le nom donnée à cette guerre civile entre républicains – principalement des catholiques partisans de la réunification avec l’Irlande – et unionistes protestants, a fait 3 500 morts jusqu’à l’accord de paix du 10 avril 1998, aussi appelé accord du Vendredi saint. Mais pour David Mitchell, la situation n’est pas la même, même si, selon lui, "il y a toujours un risque que ce genre d’émeutes s’intensifient. Si quelqu’un est tué, même par accident, ou si certains des groupes paramilitaires décident d’ouvrir le feu ou d’utiliser des armes. Cela peut aller très vite".
De son côté, Boris Johnson a condamné ces violences, envoyant son secrétaire d’État à l’Irlande du Nord sur place pour apaiser les tensions. Mais beaucoup pointent du doigt la responsabilité du Premier ministre britannique, qui a défendu un Brexit dur avec l'Union européenne, laissant peu de place au compromis après son arrivée à Downing Street en juillet 2019. David Mitchell établit un parallèle entre Boris Johnson et Tony Blair : "De nombreux observateurs disent qu’il faudrait que Boris Johnson s’implique beaucoup plus. Si vous le comparez avec Tony Blair dans les années 90, Tony Blair a passé une grande partie de son temps sur les problèmes nord-irlandais. Boris Johnson et son gouvernement ne sont pas si intéressés par l’Irlande du Nord. Mais, la réalité c’est que le processus de paix dépend d’une relation forte entre Dublin et Londres."
Face à la tension créée par le Brexit, le gouvernement britannique a annoncé le 3 mars un report de six mois - jusqu'au 1er octobre - des contrôles sur l'arrivée de marchandises en Irlande du Nord depuis l'île de Grande-Bretagne, pour cause de raisons sociales. La Commission européenne a annoncé quelques jours plus tard dans un communiqué avoir envoyé "une lettre de mise en demeure" à Londres pour avoir violé le protocole. Le Royaume-Uni a jusqu’à demain pour y répondre. Pour les Européens, ces événements montrent que le Brexit a, non seulement, ébranlé l’Europe, mais aussi la cohésion du Royaume-Uni.
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