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En Turquie, le pouvoir d'Erdogan est-il en train de basculer ?

En Turquie, le pouvoir d'Erdogan est-il en train de basculer ?

Un article rédigé par Yves Thibaut de Maisières - 1RCF Belgique, le 26 mars 2025 - Modifié le 27 mars 2025
16/17En Turquie, le pouvoir d'Erdogan est-il en train de basculer ?

La Turquie est-elle en train de basculer dans un avenir politique incertain ? Depuis l’arrestation du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu le 19 mars dernier, les manifestants se massent en réponse à ce qui est perçu comme une tournure autocratique du pouvoir du président Erdogan, en place depuis 2014.

Le Président ErdoganLe Président Erdogan

Analysons ces événements avec l'aide de l'enseignant Albert Kandemir, doctorant en relations internationales au centre Thucydide de l'université Panthéon-Assas. 

Aux yeux de nos pays occidentaux, ces manifestations qu'on voit grandir en Turquie à la suite de l'arrestation du maire d'Istanbul, ressemblent à ce qu'on pouvait observer il y a un peu plus de 10 ans lors des printemps arabes… La Turquie connaît-elle un basculement depuis le 19 mars dernier ?

On pourrait établir une comparaison avec les événements de Gezi en 2013 (des rassemblements avaient eu lieu dans un quartier d’Istanbul en raison de l’édification d’un complexe commercial en lieu et place d’un parc à proximité de la place Taksim. De plus, cet événement avait catalysé tous les désaccords et les frustrations. NDLR). Je pense qu'on peut voir un point de bascule puisqu’en 2013, la situation économique de la Turquie était meilleure. A l’époque, un euro valait encore deux à trois livres turcs. Aujourd'hui, un euro pour 40 livres turcs. Actuellement, on a une génération de Turcs, qui n'ont connu que Erdogan et qui n'étaient pas forcément aussi politisés en 2013 et qui maintenant se forgent une conscience politique en allant à l’université.  En 2013, l’AKP avait encore une légitimité liée à ses succès économiques, ce qui explique que la répression a fait peu de bruit à l’époque. 

 

En 2013, l'AKP jouissait encore d'une légitimité liée à ses succès économiques. 

Une opposition manifeste à l'AKP

 

Ekrem Imamoglu a été élu maire d’Istanbul - mégalopole de 15 millions d’habitants - pour la première fois en 2019, et réélu maire dernièrement. Il venait aussi d'obtenir des millions de voix pour se présenter à la primaire du Parti républicain du peuple, en vue des élections présidentielles de 2028. Coup de théâtre le 19 mars dernier, il a été arrêté au motif qu'il n'aurait pas obtenu un diplôme requis à l'occupation du poste de maire, ainsi que pour corruption et soutien au terrorisme.

Était-ce là l'étape qu'il manquait à Erdogan, et à son parti de l’AKP, pour étouffer l'opposition de plus en plus émergente et afin de s'arroger les pleins pouvoirs en vue des élections présidentielles en 2028 ?

Au sein même de l'opposition, il y a eu une stupeur, une surprise face à une telle réaction. Tout simplement parce qu’on s'attendait à ce que le gouvernement mette des bâtons dans les roues d’Imamoglu. C'est une personnalité très populaire, qui a une légitimité au sein des stambouliotes, et même au-delà. Les accusations qui ont été portées semblent vraiment très grossières. Pourquoi avoir pris une décision aussi grossière contre Imamoglu ? Il me semble qu’ Erdogan est dans une période de mégalomanie. Il acquiert de l’aura, il maintient un équilibre entre l'Ukraine et la Russie ; il est gagnant dans la chute du régime de Bachar Al-Assad. Après la chute de ce dernier, n’avait-il pas affirmé que les deux leaders mondiaux étaient Poutine et lui ? A l’exemple du président russe, Erdogan se sent capable de mettre à l’écart toute forme d’opposition à son ascension. 

Erdogan est une période de mégalomanie. N'avait-il pas affirmé dernièrement que "Poutine et lui étaient les deux grands leaders mondiaux" ? 

Erdogan aura 74 ans en 2028. Déjà lors des élections en 2023, il paraissait affaibli au niveau de sa santé. Peut-être ne cherche-t-il pas tant à assurer sa propre victoire que de préparer la voie à son successeur en 2028 ; il a donc tout intérêt à mettre les bâtons dans les roues de son principal opposant. C’est du moins mon hypothèse. 
 

Une situation économique défavorable 

 

Erdogan est-il gagnant en politique extérieure, et fortement discrédité à l'intérieur ?

L'opposition à l’AKP n'est pas totalement homogène. Elle se présente avec des libéraux, des socio-démocrates, et ce qu'on pourrait appeler de manière familière “des gauchistes”, et également des membres de partis ultranationalistes.

Le parti du président au pouvoir est affaibli de par cette situation-là. Devant cette configuration politique, il me semble très peu probable qu' Erdogan puisse gagner les prochaines élections présidentielles. Non seulement il portera la responsabilité d'avoir rendu la Turquie instable sur le plan politique, mais également sur le plan économique. Inflation, hausse du chômage chez les jeunes, la situation est vraiment catastrophique. Or l’AKP avait construit sa légitimité sur ces stabilités politique et économique. 
 

Si Ekrem Imamoglu parvient à parler à toutes les franges de la population, et que l’AKP perd du terrain au niveau des électeurs les plus rigoristes religieux, cela signifie-t-il que la Turquie se dirige vers un modèle laïc à la différence de ses voisins qui connaissent des régimes islamistes ?

Selon différents instituts de sondage, on voit qu'effectivement la pratique de la religion – notamment chez les jeunes – est en baisse, que ce soit par rapport à la fréquentation de la mosquée, ou par rapport au respect du Ramadan et du jeûne. Il y a une baisse de la pratique religieuse en Turquie. Cela dit, il faut rappeler que s'il existe cette réalité, on retrouve d’un autre côté une consolidation de l'islam politique en Turquie via l'expérience de l'AKP. Imamoglu l’a très bien compris et insiste aussi pour parler à ce type d’électorat conservateur. 

Bien qu'il y ait une baisse de la pratique religieuse en Turquie, le pays a consolidé la place de l'islam politique.
 

La place des Kurdes divise l'opposition

 

Plusieurs hypothèses sont de mise pour l’heure, dont le raidissement du pouvoir en place face aux manifestations qui s’intensifient en ce moment. Que voyez-vous de plus probable à court terme ? Erdogan a-t-il des faiblesses qui pourraient l'acculer à quitter le pouvoir ?

Il a des faiblesses, mais il a encore des cartes à jouer ! Notons en premier lieu la réaction des partenaires traditionnels de la Turquie, qui sont généralement des pays démocratiques – les pays de l'Union Européenne et les États-Unis – et dont les réactions ont été timorées. D'ailleurs, Donald Trump a déclaré que la Turquie avait un très bon leader (en référence à Erdogan). Le chef du département d'État américain a rendu visite à son homologue turc le 25 mars. Il en a profité pour réitérer son engagement en vue de bonnes relations avec le pays, et saluer ce qui avait été entrepris de leur part en Syrie. L'Union Européenne, comme les États-Unis, ont besoin de la Turquie comme partenaire.

D’un point de vue interne aussi, au sein du CHP (l’opposition à l’AKP), il y a un mécontentement global vis-à-vis du pouvoir en place. Seulement, plusieurs partenaires de cette coalition ne se retrouvent pas sur la question kurde. Le maire d’Ankara, Mansur Yavaş, membre du parti de l’opposition, a qualifié les drapeaux kurdes de “chiffon” lorsqu’on été célébrées dernièrement les festivités du nouvel an kurde le 21 mars dernier. 
 

Le 16/17 ©1RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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Le 16/17 ©1RCF
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