Pendant deux décennies, entre 1962 et 1984, plus de 2 000 enfants ont été arrachés à leurs parents sur l’île de la Réunion, pour repeupler les campagnes de France. Mardi dernier, le rapport de la commission d’enquête sur ces enfants qui a travaillé pendant deux ans, a été remis à la ministre des Outre-mer, Annick Girardin.
Pour Philippe Vitale, sociologue, enseignant à l’université d’Aix-Marseille, auteur du premier livre sur ce sujet et président de la commission d’enquête, il ne faut pas parler des enfants de la Creuse, mais "de mineurs de la Réunion". "Des enfants qui ont été transportés dans 83 départements. On parle généralement des enfants de la Creuse car ils représentent le plus gros contingent, mais ce n’est que 10 % de l’ensemble qui a été transplanté" explique ce spécialiste.
Le rapport de la commission d’enquête, fort de ses 700 pages, livre de nombreuses informations sur ce qu’il s’est réellement passé entre 1962 et 1984. En résumé, Philippe Vitale rappelle que "l’Etat français, pour faire face officiellement à l’explosion démocratique et au sous-développement économique dont souffre la Réunion, a organisé la migration de quelques 75 000 réunionnais par l’intermédiaire du Bumidom, le bureau des migrations intéressant les départements d’Outre-mer. Cette politique est la concrétisation d’une conviction partagée, concernant une distorsion entre l’accroissement démographique et l’évolution économique de la Réunion, synonyme de chômage et de misère".
Alors que certains n’hésitent pas à évoquer le terme de déportation, Philippe Vitale préfère quant à lui celui de transplantation. "La métaphore nous apparaît intéressante. La transplantation peut prendre ou pas. Certains ont souffert de ce transfert, mais d’autres ont réussi. Et parler de déportation comme on le dirait pour la Shoah n’apporte rien de supplémentaire à la souffrance de ces enfants. D’autant que d’utiliser des termes exagérés nuit à la cause que l’on veut défendre" précise le sociologue.
Aujourd’hui, certaines associations affirment que ces enfants ont été volés à leurs familles. Là-dessus, Philippe Vitale répond qu’au bout de deux ans d’enquêtes, "on n’a pas trouvé de preuves de ces vols. S’il y a dans les dossiers des éléments lacunaires, nous n’avons pas trouvé de preuve de rafle comme il est souvent dit". L’autre partie du drame, c’est ensuite la manière dont les enfants ont été accueillis en métropole.
"L’accueil sur place a été compliqué. Expliquer n’est pas excuser. Je ne dis pas qu’il y a eu traumatisme. Mais la souffrance de ces enfants était équivalente à celle de l’aide sociale à l’enfance de l’hexagone, avec sans doute un surplus de souffrance, qui est celui de l’inculturation. L’enfant n’était pas un sujet de droit, mais un objet de droit. Et la souffrance de ces mineurs de la Réunion vient en surplus d’une couleur de peau différente, d’une langue différente, d’une culture différente et d’une séparation de 10 000 kilomètres" analyse encore le sociologue.
Aujourd’hui, ces enfants ont cinquante, soixante, voire soixante-dix ans. "D’après nos calculs, 1 800 sont encore vivants. Un cinquième est retourné à la Réunion. Beaucoup sont en souffrance. Il y a de belles réussites. Certains ont tourné la page. Mais sur les 2 015, nous en connaissons 150. Sur ces 150 il y en a 30 qui font souvent la une des médias. Mais il y a toute une partie de ces ex-mineurs qui soit ne connaissent pas leur statut encore aujourd’hui, soit ne souhaitent pas en parler. Il y a vraiment une inconnue et nous n’avons pas pu malgré nos différentes sollicitations savoir ce qu’ils sont devenus" précise Philippe Vitale.
Malgré des décisions importantes prises à mi-parcours par la ministre Ericka Bareigts, (la possibilité de se rendre sur la Réunion pour consulter leurs dossiers avec billet d’avion et hébergement pris en charge, le rapatriement des corps, la prise en charge psychologique), se pose toujours la question de la réparation. "Nous avons fait un certain nombre de préconisations. Il faut absolument un lieu de mémoire. Nous avons aussi insisté sur l’identité de ces ex-mineurs. En 2014, a été reconnue la responsabilité morale de l’État français" conclut Phillipe Vitale, qui reconnait qu’il reste encore plusieurs inconnues dans cette histoire, notamment sur le plan sociologique et démographique.
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