Depuis plusieurs semaines, les Occidentaux accusent Moscou d’avoir amassé près de 100.000 soldats à la frontière avec l’Ukraine, et de préparer une éventuelle attaque. Le Kremlin dément, et dit vouloir éviter une expansion de l’Otan dans la région.
C’est une semaine diplomatique importante, pour le cas ukrainien. La réunion, prévue ce mercredi 12 janvier entre les Russes et les 30 membres de l’Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), intervient deux jours après un sommet, organisé lundi à Genève, entre les Etats-Unis et la Russie. Les Occidentaux souhaitent obtenir la garantie que Moscou n’attaquera pas Kiev, et les Russes veulent éviter l’intégration de l’Ukraine à l’Otan, synonyme d’expansion de l’alliance transatlantique. Mais pour l’instant, les négociations ne leur sont pas très favorables : "L’Otan va garder une politique de portes ouvertes, d’après Isabelle Facon, directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique, et spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes. Même s’il y a eu des propositions pour la suite des discussions, notamment concernant le déploiement de missiles ou bien l’engagement à faire moins d’exercices, et de moindre ampleur, dans les zones de contact entre la Russie et l’Otan."
De son côté, le Kremlin affirme qu’il n’a pas l’intention d’attaquer l’Ukraine. Une invasion russe du pays serait effectivement peu stratégique, pour de nombreux spécialistes. Mais d’autres hypothèses sont envisageables : "Il peut y avoir, par exemple, un déploiement de missiles à portée intermédiaire en Europe, estime Arnaud Dubien, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, et directeur de l’Observatoire franco-russe. Ou bien des frappes limitées, sur certaines infrastructures ukrainiennes." Quoi qu’il en soit, en cas d’agression de l’Ukraine, les Occidentaux menacent la Russie de sanctions "massives" et sans précédent. Cela pourrait aller jusqu’à couper Moscou des rouages de la finance mondiale, ou bien empêcher l’entrée en fonction du gazoduc Nord Stream 2, qui doit acheminer du gaz russe en Allemagne.
Pour l’instant, la menace de sanctions n’empêche pas la Russie de mettre la pression sur l’Ukraine, parce qu’elle veut éviter une expansion de l’Otan à ses frontières. "Les Russes n’ont pas forcément l’intention de reconstituer l’Union soviétique, précise Isabelle Facon. En revanche, depuis la fin de la Guerre froide, Moscou a un réflexe de glacis et considère que les pays voisins sont des zones tampons qui la préservent des menaces extérieures. La Russie pense aussi qu’elle peut peser dans un monde multipolaire si elle a une association d’États qui font partie d’une intégration économique et politique."
Le Kremlin souhaite ainsi s’assurer que l’Ukraine n’intègrera pas l’Otan. Même si l’hypothèse est, de toute façon, peu probable pour le moment. "En 2008, l’organisation a annoncé qu’un jour, l’Ukraine et la Géorgie entrerait dans l’Otan, mais le consensus sur cette question sera très difficile à obtenir entre les membres, assure la directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique. Pour autant, l’Otan peut difficilement se dédire de façon officielle car ce serait courir un vrai risque politique."
Comment, par conséquent, sortir de cette impasse ? Peut-être en essayant de régler le cas du Donbass, cette région à l’Est de l’Ukraine, qui est en guerre depuis 2014 et la révolution ukrainienne. "À l’époque, le président Viktor Ianoukovitch décide, à la dernière minute, de suspendre la signature de l’Ukraine à un accord d’association avec l’Union européenne, résume Alexandra Goujon, maître de conférences à l’Université de Bourgogne, et auteure de L’Ukraine : de l’indépendance à la guerre (Le Cavalier Bleu). Les citoyens pensent alors que c’est la porte ouverte à davantage d’autoritarisme, et se mobilisent. En février 2014, Viktor Ianoukovitch décide de mettre fin à l’occupation de la place de Kiev, et cette opération fait presque une centaine de morts. Il fuit finalement le pays, ce qui entraîne un changement de pouvoir assez trouble. La Russie en profite pour occuper le territoire de Crimée, et son annexion se fait en un peu plus de deux semaines. Et puis, des forces séparatistes apparaissent dans l’est de l’Ukraine. Elles vont proclamer une indépendance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. C’est le point de départ d’un conflit qui va donner naissance aux accords de Minsk, pour tenter de résoudre cette guerre."
Huit ans plus tard, le conflit n’est toujours pas résolu – il a fait plus de 13.000 morts. Et les accords de Minsk ne sont pas vraiment respectés : c’est précisément sur ce point que les négociations peuvent progresser, d’après Arnaud Dubien. "La Russie pourrait se satisfaire d’avancées réelles sur les missiles intermédiaires en Europe et l’activité militaire occidentale à ses frontières, et puis d’une avancée rapide et vérifiable sur les accords de Minsk", estime le directeur de l’Observatoire franco-russe. En attendant, les discussions se poursuivent, donc, avec l’Otan. Et puis ce jeudi 13 janvier, dans le cadre d’une rencontre, à Vienne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
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