Dans le dernier rapport du Reuters Institute for the Study of Journalism, près de 4 personnes sur 10 affirment éviter de s'informer volontairement, pour éviter une actualité jugée trop anxiogène et répétitive.
C'est une étude assez édifiante menée par le centre de recherche de l’université britannique d’Oxford, fondée sur 93.000 personnes interrogées dans 46 pays. Elle est réalisée tous les ans. Et cette année, 38 % des interrogés déclarent éviter volontairement, de façon régulière ou ponctuelle, les médias. Un chiffre qui s’élève à 36 % en France et qui a augmenté : 29 % en 2017. Au Brésil, ce chiffre est encore plus important : 56 % des interrogés affirment ne pas s’informer volontairement.
Un évitement qui s'explique en premier lieu par des informations jugées trop répétitives. Notamment celles qui concernent la politique ou encore l'épidémie Covid-19. Puis vient l’effet négatif que les informations ont sur l’humeur des interrogés et l’impression d’être submergé par des flots d’actualités. Parmi les autres motifs évoqués : le manque de confiance dans les médias, le sentiment d’impuissance face à certaines nouvelles déprimantes ou tout simplement la difficulté à comprendre des enjeux de l’actualité.
"Un flot continu d’informations déborde à un certain moment. On peut se dire que l’on a qu’à allumer la radio quelques minutes par-ci, par-là, sauf que c’est addictif. On revient parce qu'il y a peut-être encore quelque chose à savoir et on n’arrive pas à se protéger. Et c’est là où des personnes souffrent, d'insomnies, de cauchemars ou de nervosité parce qu’il y a rarement des bonnes nouvelles. Beaucoup de personnes en arrivent à dire 'Je n’en peux plus et donc je coupe tout'", explique Catherine Grangeard, psychanalyste, qui constate cette anxiété chez ses patients.
Pour ceux qui ne coupent pas tout, cette anxiété a d’autres conséquences : notamment une personnalisation de l’information de plus en plus forte. "Elle a cet écueil que les personnes ne vont s’informer que sur ce qui les concernent et pas sur l’ensemble de la société dans laquelle ils vivent et ça va poser des problèmes dans la formation de l’opinion et dans l’exercice de la démocratie. Ils risquent de ne pas avoir toutes les clefs pour se forger une opinion en toute connaissance de cause et un esprit critique", estime Stéphanie Lukasik, enseignante chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine.
Pour s'informer, les 18-24 ans interrogés consultent les réseaux sociaux avant la presse en ligne. Le réseau social Tik Tok est d’ailleurs le grand gagnant devant Facebook et Twitter. Pour beaucoup, c’est une question de format. Certains ont envie d’avoir des informations brèves. Toutefois, "les réseaux sociaux ont mis sur un pied d’égalité des informations de valeur très inégale", alerte Sophie Jehel. "Cela crée une forme de chaos informationnel, particulièrement pour ceux qui vont avoir davantage de mal à avoir le réflexe de rechercher quelle est la source, qui ont davantage de défiance vis-à-vis des médias professionnels", poursuit cette maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis.
Face à un tel constat, l'éducation aux médias et à l’information semble primordiale. "Il est important d’aider les jeunes à parler de ce qu’il se passe parce qu'ils sont de plus en plus seuls dans ces espaces. Avec la banalisation des smartphones, on a une individualisation de l’écoute et il y a un besoin de construire un point de vue étayé", estime Sophie Jehel.
Un domaine dans lequel il faut accentuer les efforts selon la chercheuse. À la fin du mois de mai, un tribune a été publiée par plusieurs acteurs impliqués dans l’éducation aux médias pour demander à Emmanuel Macron d’en faire une grande cause nationale.
Par ailleurs, Catherine Grangeard préconise aussi de rester acteur dans la consommation de l'information. "L’information ce n’est pas écouter de façon addictive toujours les mêmes boucles mais en revanche s’interroger sur comment faire pour se sortir de cette tentative de destruction permanente qu’ont les humains et ça c’est retrouver de la capacité d’action grâce au fait d’être au courant et de pouvoir prendre des décisions qui sont humainement indispensables", affirme la psychanalyste.
Une étude qui montre également que les consommateurs d’information sont de moins en moins disposés à payer pour s’informer. "Il y a de moins en moins d’information spécialisée et de production d’information et c’est ce pour quoi on explique ce phénomène. Alors que pour une information produite par un journaliste d’investigation, là les médias vont trouver un public disposé à payer parce que leur information a une vraie valeur ajoutée et est inédite", analyse la chercheuse Stéphanie Lukasik. Dans l’attractivité comme dans la confiance à leur égard, les médias ont bien sûr une très grande responsabilité.
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