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Fausse couche : ce drame encore trop tabou

Un article rédigé par Aurore Ployer - RCF, le 15 décembre 2022 - Modifié le 15 décembre 2022
Je pense donc j'agisFausse couche : ce drame encore trop tabou

"Il n'y a rien de faux dans une fausse couche", alerte un collectif de femmes dans le journal Le Monde en mars 2022. On estime qu'une femme sur 10 sera au cours de sa vie confrontée à l'interruption naturelle d'une grossesse. Entre invisibilisation et culpabilisation, des femmes se battent pour rompre le tabou et réclamer une prise en charge adaptée.

© Roklin Dearts / Pixabay© Roklin Dearts / Pixabay

Libérer la parole

 

Il est nécessaire de libérer la parole sur la fausse couche, qui n’est pas un "non-évènement". Des femmes d’envergure à l’image de Marlène Schiappa, ancienne ministre déléguée en charge de la Citoyenneté, ont contribué à lever le tabou. En novembre 2021, elle confiait dans la Maison des maternelles sur France 2 : "J’étais en déplacement avec d’autres ministres. Quelqu’un m’a dit : "Madame la ministre, votre robe est pleine de sang". Je faisais une hémorragie. Ma première pensée a été de me dire “il faut que je tienne". La journaliste Sandra Lorenzo a également ressenti cette pression qu’il fallait vite passer à autre chose : "Le premier réflexe des femmes vivant une fausse couche est de se taire, de le cacher". Se sentant isolée face à cette épreuve, elle a décidé de surmonter le traumatisme par l’écriture. Son livre Une fausse couche comme les autres, est parut aux éditions First cette année. 

 

La honte est souvent à l’origine de la difficulté à se confier, comme a pu l’évoquer Marlène Schiappa : "ma première question à la gynécologue a été : est-ce que c’est ma faute, j’ai trop travaillé ? Elle m’a répondu : "Bien sûr que non”, ça m’a soulagée d’un poids". Sophie Helmlinger, psychothérapeute et fondatrice de l'association L'enfant sans nom – Parents endeuillés, constate le même sentiment de culpabilité chez les femmes qu’elle reçoit : "elles se demandent tout ce qu’elles ont fait de mal".

 

Les premiers mois de grossesse sont généralement passés sous silence, ce qui n’aide pas à libérer la parole : "Il y a une zone grise autour des trois premiers mois. On dit aux couples de ne pas parler de la grossesse car il y a un fort risque de fausse couche. Or ce sont les mois les plus difficiles, où se développent ce qu’on appelle les "petits maux de grossesse" raconte Sandra Lorenzo. Si la fausse couche survient, c’est alors "la double peine" : l’évènement est traumatisant et le couple doit le vivre seul. 

 

Un évènement aux résonances profondes

 

Une fausse couche peut-être vécue comme un deuil, comme en témoigne l’auditrice Joëlle : "Plusieurs années après, alors que j’étais en voiture, j’ai senti un baiser sur ma joue. C’était mon enfant qui était là, vivant, quelque part. Je l’ai appelé Ange". Sophie Helmlinger souligne la nécessité de parler du traumatisme, même plusieurs années après : "Il faut vivre ce qui a besoin d’être vécu autour du bébé. Notre association, L'enfant sans nom – Parents endeuillés, donne la possibilité aux parents de donner un prénom à leur enfant s’ils le souhaitent, ce qui n’est pas prévu par la loi". Heureusement, chaque fausse couche est singulière et les ressources personnelles de chacun peuvent permettre de vite passer à autre chose : "certains parents le vivent comme un accident de la vie, et c’est bien si cela reste comme ça". 

 

L’interruption naturelle de grossesse n’est pas vécue de la même manière par les deux conjoints, une source de non-dits qui peut altérer l’harmonie du couple. Jean-Maurice, un auditeur, raconte avec émotion son incompréhension face aux trois fausses couches de sa femme, il y a 20 ans : "Je n’ai pas saisi toute la mesure de ce qui se passait au niveau psychologique. Je commence seulement à comprendre sa souffrance". Sandra Lorenzo n’est pas étonnée : "On ne ressent pas les mêmes choses car la femme enceinte a vécu l’évènement dans sa chair. Mon mari s’est projeté plus vite dans une autre grossesse". 

 

La nécessité de mieux accompagner

 

Une fausse couche entraîne des souffrances à la fois physiques et psychologiques qui nécessitent du repos : "Un interruption naturelle de grossesse, même médicamenteuse, entraîne de forts saignements qui épuisent. Du jour au lendemain, le corps qui s'était mis en route pour une grossesse subit une chute hormonale énorme. Cela a un impact sur tout le corps", explique Marie, une auditrice sage-femme. Les bouleversements sont tellement profonds que cela empêche de gérer correctement les tâches quotidiennes : "Après l’aspiration du fœtus, j’étais hébétée. Le matin, en arrivant à l’hôpital, j’étais enceinte. À midi, je ne l’étais plus. La grossesse ne se termine pas quand l’utérus est vide mais quand le couple est passé à autre chose. J’ai mis plusieurs mois à m’en remettre. Pourtant, le lendemain de l’interruption, j’étais au travail, mais sous le choc", témoigne Sandra Lorenzo.

 

La France manque cruellement de dispositifs d’accompagnement, déplore Sandra Lorenzo : "Quand on vient de vivre une fausse couche, il faut demander un arrêt de travail qui n’est pas toujours donné. En Nouvelle-Zélande, même si ce n’est pas suffisant, la femme et le co-parent disposent de trois jours de congés". Parmi les autres pistes soulevées par les militants, un livret à distribuer dans les lieux de santé pour informer les femmes sur la fausse couche et leur indiquer les ressources vers lesquelles elles peuvent se tourner. "Pendant les fêtes de fin d’année, ne passez pas la fausse couche sous le tapis : la grossesse a existé. N’hésitez pas à être une oreille attentive si le couple le souhaite, même s’ils semblent réticents à en parler au début", conclut Sandra Lorenzo.

 

© RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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