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Faut-il encore parler politique en famille ?

Un article rédigé par Yves Thibaut de Maisières - 1RCF Belgique, le 27 juin 2024 - Modifié le 29 août 2024
16/17Faut-il encore parler politique en famille ?

Comment l'initiation civique et l'intérêt pour l'actualité politique se transmettent-ils dans le cadre familial ? La chercheuse et enseignante en sciences de l'éducation et de la formation à l'université de Cergy, Camille Amilhat, nous propose une analyse des différentes façons de transmettre l'intérêt pour la citoyenneté et la vie politique au sein de la famille. Parler politique en famille est-il encore à la mode ? Propos recueillis par Yves Thibaut de Maisières. 

Assassinat de Jules César par son fils - PixabayAssassinat de Jules César par son fils - Pixabay

Dans le choix des mots, pour vous intéresser à la transmission de l’intérêt familial, vous parlez de “citoyennisation” familiale. Ce choix des mots, Camille Amilhat, n'est pas anodin. Que révèle-t-il? 

Absolument. Si je reviens initialement aux mots qu'emploient les sociologues pour parler de la relation politique de la famille, c'est plutôt celui de la politisation familiale. Finalement, ce qui est derrière ces termes, c'est une mesure du rapport politique de la famille, des parents. Par exemple, on va regarder à quelle fréquence les parents regardent des médias, ou bien s'ils discutent politique, s'ils participent à la vie politique ou non.

Moi je préfère plutôt employer le terme de citoyennisation familiale, pour mettre en avant le processus de transmission familiale par lequel un jeune est conduit à s'intéresser à la vie de la cité. 
C'est à la fois pour insister sur le fait que c'est plus large que ce qu'on pourrait entendre par une définition restreinte de la politique, et aussi pour insister sur le rapport du jeune à la politique. Pour ma part, l'essentiel n'est pas tant de regarder si les parents visionnent des médias, mais c’est de voir s'ils les regardent avec leurs enfants. Et puis, je parle de citoyennisation parce que ce qui m’intéresse, c’est de savoir si les parents parlent de politique avec leurs enfants et - pour la participation politique - est-ce qu'ils initient leurs enfants ?

Le cadre choisi est celui de la famille. Or, le cadre familial que vous présentez est plus large que celui qu’on rencontre dans un modèle de famille nucléaire. Le cadre familial, vous dites, ce n'est donc pas seulement les parents ?

Ce sont les parents, mais c'est aussi plus large. Notamment, j'ai remarqué des effets particuliers de transmission : l'impact des grands-mères sur l'initiation à la politique de leurs petits-enfants. Quand une grand-mère est géographiquement proche d'un de ses petits-enfants, il passe du temps avec elle, ça va être un temps privilégié pour discuter de l'actualité, de politique. Cet environnement plus intimiste permet à l’enfant de poser des questions ailleurs que dans son foyer.

Cela signifie-t-il que la génération de nos aînés est mieux formée que ne le sont celles de leurs enfants et de leurs petits-enfants ? 

Mieux formés, pas nécessairement. En revanche, elles ont davantage d'expériences de la vie politique et citoyenne. Et puis, on sait aussi - par des enquêtes - que nos aînés sont plus participants à la vie politique, ils vont davantage voter, par exemple. Par cette proximité - et peut-être aussi parce qu'ils ont plus de temps -, ils ont aussi des choses à transmettre. 

Il y a différents canaux qui permettent d'être confronté à cet intérêt pour la politique et la citoyennisation en famille. Vous en relevez essentiellement trois. La première, c'est la confrontation médiatique. Aujourd'hui de nombreux médias sont disponibles. D’une part, les médias traditionnels (comme la presse écrite, les journaux télévisés), et d’autre part les réseaux sociaux (à l'instar de X ou de TikTok, Instagram, Facebook…). La construction - ou la structuration de l'opinion - que se fait l'enfant dépendent-elles de la nature du média consommé ?

Il y a des différences assez flagrantes. Si je prends l’exemple des émissions télévisées qui sont divertissantes et qui vont aborder l'actualité de façon un peu spectaculaire, hors du commun, et qui vont aborder le sujet avec un langage humoristique, je remarque que les enfants qui sont confrontés uniquement à ce type de décryptages développeront un intérêt en demi-teinte pour la politique. Leur rapport à la politique se fera parfois à travers la vulgarité. D’un autre côté, on a les enfants qui sont confrontés à une actualité par la presse écrite, par la radio, et qui par l’entremise de ces médias, vont développer un intérêt beaucoup plus important dans le domaine. Ils vont avoir une connaissance du vocabulaire politique plus affinée. Ils seront capables de se forger une forme d'opinion.

Par rapport aux réseaux sociaux, il est très intéressant de se rendre-compte à quel point, finalement, l'actualité s'incruste dans la vie des jeunes par les réseaux sociaux, et quel que soit le type d'enfant. Y compris dès la fin de l'école primaire. Très jeunes, ils sont déjà confrontés à ces contenus qui arrivent sur les fils d’actualité de leurs médias sociaux, ou même sur leur téléphone. Certains vont balayer ces notifications, mais, quand l’intérêt naît, ils s’y attarderont davantage. 

Une réalité interpelle aujourd'hui : on assiste à une grande mobilisation de la jeunesse en faveur de la prise de conscience pour les changements climatiques, de l’actualité au Proche-Orient. Ces sujets ont-ils plus d'intérêt que le fonctionnement politique ou la vie de la cité en elle-même ? 

Peut-être que les jeunes sont plus proches de ces sujets, notamment parce que ce sont des sujets qui les touchent, et que sur le sujet particulier du fonctionnement de la vie politique, c'est quelque chose qu'ils connaissent quand même assez mal, notamment en matière d’éducation à la citoyenneté en France.

Par conséquent, il est vrai que ce fonctionnement-là, ils ne le maîtrisent pas bien et ils auront tendance à moins s’y intéresser ; en tout cas ils se sentent moins légitimes à discuter sur ce fonctionnement. En revanche, sur les sujets qui les touchent un peu plus, on constate aussi un changement un peu générationnel. La jeunesse qui prend sa part à des engagements le fera davantage en intermittence, sur un temps moins durable. De nombreux jeunes seront mobilisés sur un sujet, un contexte qu’ils prendront très à cœur, mais cela sera de relativement courte durée.  Ce n’est pas la même forme d'engagement que nos aînés, qui étaient plus engagés à travers une participation politique qu'on appelle “conventionnelle”, s’exprimant à travers le vote, par exemple. La plupart des jeunes, aujourd'hui, ne sont plus dans ce type de participation, ils le sont par un engagement, par la défense d'une cause sur un temps déterminé. 

Que manque-t-il aujourd'hui, qu'est-ce qui pourrait être amélioré dans le cadre de la transmission de l'intérêt politique en famille, selon vous ?

On ne peut pas vraiment avoir d'impact sur le cadre familial. Cela dit, on peut en avoir de façon indirecte sur l'éducation à l'école. Plus on aura des citoyens formés dès leur jeune âge, plus les parents se sentiront légitimes et capables de parler de citoyenneté et de politique avec leurs enfants. Pour moi, les mesures à mettre en place passent par l’augmentation de l’initiation politique à l'école, en ajoutant des heures de cours consacrées à l'éducation, à la citoyenneté, à la place qui est consacrée à la connaissance de la vie politique, à la vie des cités, à celles des institutions.

Les jeunes rencontrent-ils assez de politiciens selon vous ?

Ils n'en rencontrent pas assez ! Mais quand c’est le cas, cela les marque beaucoup. Je l'ai observé notamment quand des élus venaient à la rencontre des élèves dans les classes. Je me souviens même d'un élève qui était venu habillé sur son 31. Pour les jeunes, c'est quelque chose de très important. Un autre élève me racontait d'ailleurs qu’il avait eu la chance d'être pris en photo avec le maire de sa ville. La rencontre des élus marque beaucoup. Par ailleurs, je constate que les visites des institutions du pays ont un impact très élevé sur le développement de l'intérêt politique.

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