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Faut-il un nouvel acte de décentralisation en France ?

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 3 décembre 2021 - Modifié le 3 décembre 2021
Le dossier de la rédactionFaut-il un nouvel acte de décentralisation en France ?

Le Premier ministre Jean Castex clôture, vendredi 3 novembre, les Assises des Départements de France qui se tiennent à Bourg-en-Bresse dans le département de l’Ain. 102 propositions, votées par les représentants des départements français vont lui être soumises. Elles ont vocation à reposer certaines préoccupations dans le débat présidentiel avant le scrutin de 2022. Au cœur des problématiques : la question de la décentralisation. Le Parlement est justement en train d’étudier le projet de loi 3DS, comme différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification. Ce texte est jugé trop peu ambitieux par beaucoup d'acteurs. 

Façade d'une maire française. ©UnsplashFaçade d'une maire française. ©Unsplash

Pour tous les élus locaux l’objectif est donc de replacer la question de la décentralisation au centre du débat présidentiel. Pour l’exécutif, avant le scrutin de 2022, il s’agit toujours de soigner l’assise locale d’Emmanuel Macron qui lui fait défaut depuis le début de son quinquennat. Mi-novembre, le président était au congrès de l’association des maires de France (AMF), en octobre, Jean Castex était à celui des intercommunalités et donc début décembre auprès des départements. 

 Il faut laisser de la souplesse aux collectivités locales, il faut laisser respirer le pays

“Il faut que l’État comprenne qu’il a besoin des départements, qu’il a besoin de la formidable armée des 500 000 acteurs locaux que nous sommes” revendique François Sauvadet, président du département de la Côte d'Or et président de l'Assemblée des Départements de France. “Nous avons la responsabilité du social donc il faut que l’État arrête de vouloir tout passer à la même toise. Lorsque j’entends dire qu’on ne va pas faire 102 politiques sociales différentes, je bondis ! Sur les questions de vieillissement de la population ou des jeunes, ce n’est pas la même problématique si vous êtes en Seine-Saint-Denis où si vous êtes dans la Creuse. Il faut un socle pour s'assurer que chacun est traité de la même façon, mais ensuite il faut laisser de la souplesse ! Il faut laisser respirer le pays”. 

Différenciation 

La plupart des collectivités locales ne demandent pas un nouveau grand soir de la décentralisation, ni un nouveau transfert de compétences, mais simplement une capacité d’adaptation au niveau local. “C’est ce qu’on appelle, techniquement, la différenciation” explique Yvonic Ramis, président de l’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF). Pendant l’automne, l’association organise un tour de France pour aller à la rencontre de ses adhérents et pour là encore produire un programme de mesure à soumettre aux candidats à la présidentielle de 2022. 

Les collectivités locales ont besoin d’une plus grande liberté pour exercer pleinement leurs compétences 

Parmi les points qui ressortent, la structure réclame un 4e acte de décentralisation centrée là aussi sur une augmentation de la souplesse au niveau local. “Aujourd’hui en France dans 99% des cas, lorsque nos parlementaires définissent une loi, elle doit s’appliquer de la même façon partout en France… Or, la réalité n’est pas la même en Bretagne, dans le Massif Central, en l’Ile-de-France ou en Corse. Sans totalement remettre en cause la dimension d'État unitaire français, les collectivités locales ont besoin d’une plus grande liberté pour exercer pleinement leurs compétences et pour s’organiser de manière plus souple au niveau local, quitte à se répartir ses compétences différemment” détaille Yvonic Ramis. 

“Pour prendre en compte les enjeux complexes du pays aujourd’hui, pour mettre en œuvre des politiques publiques efficaces, il faut desserrer toute une série de contraintes, de normes et de règles” abonde Eléanor Breton, chercheuse en science politique spécialiste des collectivités locales. “Ce sont les acteurs qui sont les plus à même de gérer un problème qui doivent être en mesure de le gérer. Cela signifie transférer des capacités de pilotage et de financement”. 

Émission SpécialeÉléanor Breton - "Il faut absolument desserrer toute une série de contraintes"

Pour mieux comprendre les enjeux de l’adaptation locale, on peut utiliser l’exemple de l’eau et de l’assainissement, un point important selon la sénatrice UDI, d'Ille-et-Vilaine, Françoise Gatel, rapporteuse du texte 3DS au Sénat. “On nous a expliqués que cette question devait être gérée au niveau d’un périmètre administratif précis : l’intercommunalité. Sauf que l’eau est un élément physique et naturel qui ne tient pas compte des périmètres administratifs. Si le relief et donc le bassin-versant de l’eau correspondent à l’échelle d’une intercommunalité tant mieux, mais s’ils ne correspondent pas, il faut pouvoir s’adapter. L’organisation doit venir se caler à l’objet que l’on traite. 

Déconcentration VS décentralisation 

Alors si chacun adapte les lois nationales au niveau local, comment harmoniser la politique du pays ? Comment trouver une cohérence ? “L’État doit rester un garde-fou pour éviter une dilution de la cohérence” plaide Yvonic Ramis. “Pour nous la bonne échelle, c’est le préfet de département”. 

L’État doit-être plus puissant dans les régions

On en arrive alors à un autre enjeu pointé par les élus locaux : la déconcentration. La décentralisation revient à donner plus de liberté de gestion aux mairies, aux intercommunalités, aux départements, etc… La déconcentration revient à répartir l’autorité de l’Etat au niveau local. C’est une forme d'organisation des services de l'État au niveau local. Les préfets sont donc des services déconcentrés de l’État. Or, pour avoir plus de souplesse, beaucoup d’acteurs locaux demandent à ce que les services de l’État soient renforcés au niveau local et qu’ils gagnent en responsabilité. “Nous demandons que l’État soit plus puissant dans les régions et les départements et que le préfet possède l’autorité nécessaire sur tous les services locaux qui dépendent du gouvernement” développe Françoise Gatel. “Aujourd’hui vous avez le recteur d'académie, le directeur des finances publiques et le directeur de l’Agence Régionale de Santé qui sont autonomes par rapport au préfet. Cela ne fonctionne pas !” 
 

Émission SpécialeSénatrice François Gatel : "L'État doit être plus présent dans les régions"

Les Agences régionales de santé, qui ont gagné en visibilité pendant la crise du Covid, sont une bonne illustration des problématiques d’adaptation au niveau local. Il s’agit là aussi d’un service déconcentré de l’État. Or, les relations avec les élus locaux ont parfois été compliquées pendant la crise sanitaire. “Il y a eu une arrogance sanitaire de la part des ARS qui refusaient tout dialogue” regrette François Sauvadet. “Au début de la crise, l’ARS refusait de me donner le nombre de décès dans les Ehpads alors que le département est en co-tutelle avec l’ARS ! L’information devait remonter à Paris avant de redescendre en Côte-d’Or. C’est invraisemblable !”. 

 

François Sauvadet, président du département de la Côte d'Or et président de l'Assemblée des Départements de France. / ROMAIN LAFABREGUE / AFP

François Sauvadet, président du département de la Côte d'Or et président de l'Assemblée des Départements de France. / ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Dans le cadre du projet de loi 3DS, les sénateurs ont ajouté au texte une réforme la gouvernance des agences régionales de santé afin de transformer leur conseil de surveillance en conseil d’administration et de nommer en son sein trois vice-présidents, dont deux sont désignés parmi les représentants des collectivités territoriales. Saut que le gouvernement est pour l’instant imposé à la mesure qui devrait donc être détricotée à l’Assemblée nationale. 

Ressources financières

Autre grand enjeu pour les territoires : les moyens financiers. La crise sanitaire n’a pas arrangé l’état des caisses. Les départements par exemple qui ont notamment la charge du médico-social et du RSA, ont vu leurs dépenses augmenter de 1,6 milliards d’euros en 2020. Or, derrière les recettes ne suivent pas, car depuis des années le pouvoir central coupe les sources de revenus des collectivités locales que sont les taxes et la fiscalité. Emmanuel Macron s’est d’ailleurs inscrit dans la même ligne. 

Emmanuel Macron a poursuivi la politique de centralisation fiscale et budgétaire

“Il y a eu un axe financier et fiscal très important dans la politique territoriale du président” révèle Eléanor Breton. “L’idée était de poursuivre la politique de centralisation fiscale et budgétaire. L’objectif est de réduire les capacités de financement des collectivités locales, mais aussi leurs possibilités de dépenses. Cela passe d’abord par la suppression de la taxe d’habitation (source de revenu pour les collectivités locales), pour les ressources, mais aussi par des normes de plafonnement de dépenses, pour limiter les sorties d’argents”. C’est le but notamment des contrats de Cahors, initiée dès 2017 et qui vise donc à réguler la dépense locale. Les départements ont directement critiqué ce qu’ils jugent comme une mise sous tutelle de la part du gouvernement. 

Projet de loi 3DS 

Le manque de ressources devient donc un problème pour certains territoires. C’est le cas par exemple de la Seine-Saint-Denis, département très pauvre qui demande la recentralisation du RSA afin de se libérer d’une charge financière. Une expérimentation de ce type était justement prévue dans la première mouture de la loi 3DS, mais la mesure a été pour l’instant supprimée par les sénateurs. 

C’est surtout un texte d’ajustement technique, mais ce n’est pas la grande remise à plat que nous espérions

Globalement, ce nouveau projet de loi est jugé “assez peu ambitieux” par Yvonic Ramis. “Elle ne restera pas dans les annales” prédit-il. “Ce n’est pas la loi que nous attendions” ajoute François Sauvadet. “C’est surtout un texte d’ajustement technique, mais ce n’est pas la grande remise à plat que nous espérions”. Difficile en effet pour l’État de lâcher totalement la bride en matière de décentralisation. La faute à une tradition historique qui pèse encore aujourd’hui. Mais “il s’agit aussi de faire plaisir à tous les niveaux de collectivités” analyse Eléanor Breton. “En général, à l’issue des négociations et des marchandages, il ne reste plus grand-chose des objectifs de clarifications et de simplification vendus au départ. Chaque niveau de collectivité défend ses propres intérêts”. 

Les collectivités locales ont bien tenté de s’unir au début du quinquennat d’Emmanuel Macron pour faire contrepoids face à la volonté centralisatrice de l’exécutif. Le groupe Territoires Unis est donc né en 2018, réunissant mairie, département et région. Néanmoins, en France, nous restons face à un mille-feuille et chaque strate à ses sensibilités et son agenda. 
 

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