Plus d’un mois de grève pour le Journal du dimanche (JDD). C’est un mouvement historique dans le monde de la presse, qui n’a pas eu lieu depuis 1975. Geoffroy Lejeune est en passe de reprendre la direction de la rédaction de l’hebdomadaire le 1er août prochain. Ex journaliste de Valeurs actuelles, sa ligne éditoriale d’extrême droite ne séduit pas les journalistes du JDD.
Cinq dimanches d'affilée se sont écoulés depuis le début de la grève des journalistes du Journal du dimanche, et les revendications font toujours l’unanimité au sein de la rédaction. Le 22 juillet, encore 98 % des journalistes du JDD ont voté contre la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction du journal et réclament l’obtention de garanties supplémentaires en termes d’indépendance éditoriale. L’ancien rédacteur en chef de Valeurs Actuelles a été mis à pied du magazine d’extrême droite pour ses idées trop extrémistes, idées qui sont les raisons principales de cette grève historique. Il est prévu qu’il prenne ses fonctions dès le 1er août.
Dans une interview adressée à plusieurs médias sur le parvis des locaux du journal, Juliette Demey, grand reporter et co-présidente de la société des journalistes du JDD dénonçait chez nos confrères de L'Humanité, la potentielle droitisation du média. « Nous ne voyons pas comment Geoffroy Lejeune pourrait nous présenter un projet compatible avec notre journal. Il n’y a rien à attendre de quelqu’un qui a déclaré en parlant de VA, dans une interview à l’ICEP, l’école fondée par Marion Maréchal que "nous avons une vraie volonté de conquête, nous essayons de faire progresser nos idées dans le débat public" ».
Né en 1948, le JDD a pour spécificité une parution hebdomadaire le dimanche. Marqué d’une ligne éditoriale dite pluraliste, il est considéré comme très influent et proche de l’Élysée. Selon Alexis Lévrier, historien français et spécialiste du journalisme, « il y a une volonté de Bolloré d’inverser cette tendance pour en faire un outil de contestation de ce pouvoir et de diffusion d’une idéologie ». Un signal à destination des journalistes du journal de la part de Vincent Bolloré, propriétaire de médias et milliardaire français « pour soit se mettre au service d’une idéologie d’inspiration maurrassienne, soit partir de la rédaction » complète Alexis Lévrier.
Pour l'hebdomadaire, l'issue risque de ne pas plaire à tous les journalistes. D’un point de vue juridique, les journalistes du JDD se trouvent dans une impasse. Les clauses de conscience et de cession qui leur permettent habituellement de quitter de leur propre initiative une entreprise de presse, tout en percevant les indemnités de licenciement, ne s’appliquent pas pour cette fois-ci. Le groupe Lagardère, dont le Journal du dimanche fait partie, est contrôlé par le géant français des médias Vivendi, piloté par le milliardaire Vincent Bolloré depuis plusieurs mois, mais est encore détenu par Lagardère. Ce flou juridique cause une attente jusqu’à l'automne, et ne permet pas aux employés de jouir de leur droit.
Pour ce qui est de la nomination de Geoffroy Lejeune, selon l’historien Alexis Lévrier les grévistes ont « très peu de chances de gagner quand on voit les salariés de la chaîne i-Télé [NDLR : autre média racheté par Bolloré], qui se sont battus pendant un mois, ne sont pas parvenus à leurs fins ».
Ce mouvement gréviste se positionne à plus grande échelle qu’uniquement l’avenir du média. Le personnage de Vincent Bolloré n’est pas anodin. Si cette grève tient bon, c’est que les journalistes du JDD ont l’exemple d’i-Télé et d’Europe 1 et des changements opérés quand Vincent Bolloré en a pris la tête. Selon Alexis Lévrier « il a impulsé une ligne éditoriale d’inspiration raciste et xénophobe ». Des idées qui se rapprochent fortement de celles du prétendant au poste de rédacteur en chef. Geoffroy Lejeune est en effet connu pour avoir soutenu le candidat Eric Zemmour à la présidentielle 2022.
La jonction entre presse d’information et presse d’opinion n’était pas claire pour le groupe de Vincent Bolloré. Alexis Lévrier explique que « le souci n’est pas d’avoir une presse de droite, ni même d’extrême-droite, la pluralité des médias est une bonne chose. Le problème est que c’est une presse délictuelle. Pendant la présidentielle 2022, Éric Zemmour nous l’a bien montré, il ne s’est pas contenté d’avoir des discours d’extrême droite, il a tenu des discours racistes, xénophobes, et révisionnistes ». Cette presse contrevient aux règles journalistiques mais aussi et surtout juridiques.
Alexis Lévrier insiste : « le projet est de peser sur les échéances électorales, comme l’empire Bolloré a déjà pesé sur le scrutin en 2022, il pèsera sur les Européennes en 2024 et les présidentielles en 2027 ». Ailleurs, cela a pu être le cas avec Rupert Murdoch qui est à la tête d’un empire sur la presse anglo-saxonne, en participant activement à l’élection de Trump ou le Brexit.
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