C'est une histoire mal connue ; et pourtant, la marche pour l’égalité et contre le racisme, qui a réuni 100 000 personnes à Paris en décembre 1983, a commencé à Vénissieux (Rhône). Un groupe de jeunes Maghrébins sensibles aux actions non violentes a décidé de traverser la France suite à une bavure policière.
Le 3 décembre 1983, une foule immense envahit les rues de Paris. « La marche des beurs », comme l’appelaient alors les médias, a réussi son pari de réunir des milliers de jeunes issus de quartiers dits « sensibles », mais aussi des associations, parfois chrétiennes, des hommes et des femmes politiques.
Le succès est tel qu’un groupe de jeunes leaders sera accueillis par le président François Mitterrand, qui accordera la carte de séjour de dix ans, l’une des revendications des marcheurs.
C’est dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux, dans le Rhône, que l’idée de lancer une grande marche non-violente à travers la France fait son chemin dans l’esprit d’un groupe de jeunes immigrés. Plus précisément, en bas de la tour 10 du quartier Monmousseau.
Toumi Djaidja et Djamel Attalah ont alors 19 ans. Baskets au pieds et jean, ils écoutent le groupe de rock arabe Carte de séjour et son chanteur Rachid Taha, mais aussi Charles Aznavour et les tubes du moment. Avec l’arrivée de François Mitterrand en 1981, ces enfants d’immigrés, souvent eux-mêmes nés ailleurs, rêvent de lendemains qui chantent.
« On est 20 ans après la guerre d’Algérie », explique le père Christian Delorme. Le racisme est endémique et les crimes racistes presque quotidiens. Vénissieux, tout comme d’autres villes de l’Est lyonnais, connaissent alors les « étés chauds », de 1981 et 1982, rythmés par de premières émeutes urbaines et de nombreux affrontements entre jeunes et polices. Une « deuxième génération » d’immigrés qui ne trouve pas de place dans la société.
Le père Christian Delorme est alors curé de la paroisse de Saint-Fons, voisin du quartier des Minguettes. Il croise régulièrement ces jeunes, surtout à la MJC de Saint-Fons. C’est d’ailleurs en se rendant ensemble au cinéma pour aller voir le film Gandhi de Richard Attenborough, au printemps 1983, que ce petit groupe se met à rêver de partir marcher.
Le déclic se jouera quelques semaines plus tard. Le juin 1983, Toumi Djaidja reçoit une balle dans l’abdomen tiré par un policier alors qu’il protégeait un enfant attaqué par un chien. Entre la vie et la mort, après sept heures d’opération, il sort vivant de l’hôpital, déterminé à faire de ce projet de marche une réalité.
C’est donc une poignée de jeunes, accompagnée du jeune père Christian Delorme et du pasteur Jean Costil, alors délégué national de la Cimade, que la machine se met en route.
On décide de partir officiellement de Marseille, du quartier de la Cayolle, « parce qu’un jeune gitan avait été tué quelques semaines plus tôt », poursuit Djamel Attalah, et aussi parce que « c’était le port d’arrivée de leurs parents immigrés », rajoute le père Christian Delorme.
Ce sera une marche du sud au nord, en passant par la vallée du Rhône. On marchera 30 kilomètres par jour pour aller à la rencontre des Français.
Il faut alors, en trois mois, convaincre les jeunes de rejoindre le mouvement et trouver des points d’accueil pour toutes les étapes. Commence un tour de France, au volant d’une petite 104 bleue.
En août 1983, le père Christian Delorme et Djamel Attalah se rendent auprès des militants du Larzac pour les convaincre d’accueillir les marcheurs. « Il y a eu à ce moment-là plein de bonnes fées, si je puis dire. Dans le Larzac, on a engrangé des promesses d’accueil. Et puis il y a eu aussi François Mitterrand, qui est venu aux Minguettes cet été-là. On lui avait parlé de la marche » rajoute le père Christian Delorme. Le président qui avait alors promis de recevoir les marcheurs à leur arrivée à Paris.
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