Détenu arbitrairement depuis une cinquantaine de jours par le gouvernement turc, le journaliste de 27 ans Loup Bureau espère que le déplacement officiel du Ministre des Affaires étrangères en Turquie ce jeudi plaidera en sa faveur. C'est également l'attente de son confrère et soutien, Johann Bihr, journaliste à Reporters Sans Frontières (RSF).
Le responsable du bureau de l'Europe de l'Est et Asie de RSF estime que si les conditions d'emprisonnement de Loup Bureau restent décentes, l'incertitude de l'aboutissement de l'enquête l'est beaucoup moins. "Les autorités lui reprochent d'être en contact avec les Kurdes du PKK, sans faire la différence entre des contacts professionnels et un rapprochement imaginaire personnel avec une organisation terroriste" rappelle-t-il. Loup Bureau risque ainsi jusqu'à 22 ans de prison.
"Il y a un certain zèle et une paranoïa des autorités locales, explique Johann Bihr. La parution de décrets faisant suite à l'Etat d'urgence prolongé depuis un an permet en effet au gouvernement turc d'emprisonner qui bon lui semble, sans rendre de comptes. "On sait que le président Erdogan compte sur ses prisonniers comme monnaie d'échange avec les pays occidentaux."
Johann Bihr fait état de la fermeture des grands journaux turcs et cite le cas des 19 journalistes du titre traditionnel Cumhuriyetâ à qui l'Etat a intenté un procès.
"Le pluralisme médiatique est sérieusement réduit, analyse-t-il. Plus aucune voix critique ne subsiste à la télévision turque, surtout depuis l'Etat d'urgence."
Johann Bihr évoque une "certaine mobilisation de la population" face à la réduction de la liberté de la presse et d'expression, avec "quelques manifestations à Ankara". Mais c'est surtout un "sentiment d'impuissance" qui semble l'emporter.
C'est donc vers l'international que les espoirs se tournent. Mercredi, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a demandé à la Turquie de libérer les journalistes européens qui sont emprisonnés dans le pays.
Pour Johann Bihr, c'est un premier pas qu'il faut poursuivre: "On attend toujours plus de l'Europe vis à vis de la Turquie." Si le Président Erdogan a pris des engagements vis-à-vis du Conseil de l'Europe, force est de constater que des journalistes européens et turcs souffrent de la politique du régime en place.
RSF appelle ainsi la Cour Européenne des Droits de l'Homme: "La justice est plus politisée que jamais en Turquie. La CEDH est le dernier espoir des journalistes turcs."
Autre cheval de bataille récemment médiatisé de RSF et qui résonne avec la situation en Turquie: la poursuite en justice de l'Etat de l'Azerbaidjan pour diffamation contre Elise Lucet qui l'avait qualifié de "dictature".
Témoin du procès, Johann Bihr affirme qu' "il est grand temps de mettre le holà à ce gouvernement." Avant d'ajouter que "ce procès a une valeur d'exemple pour éviter que les autres pays s'opposent au travail des journalistes français". Réponse le 7 novembre, lors du rendu de la décision du Tribunal de Nanterre.
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