La chanteuse de music-hall et résistante Joséphine Baker est entrée mardi 30 novembre dernier au Panthéon. Un événement sur lequel Nathalie Leenhardt voulait revenir.
Cette expression “entrée au Panthéon”, a quelque chose d’étrange tant elle nous renvoie à l’image surréaliste d’une femme comme surgie du monde des morts, transfigurée, ressuscitée presque... Mais il est vrai que ces cérémonies font réellement “revivre” une personnalité dont on a parfois, comme moi, oublié le parcours, le courage, les combats. Et quelle vie ! Quelle cérémonie !
J’ai regardé avec émotion ce cénotaphe empli de kilos de terre venue de quatre lieux marquants de la vie de Joséphine Baker: Saint-Louis, sa ville natale aux Etats-Unis, Paris bien sûr qu’elle aimait tant, les Milandes en Dordogne où elle vécut avec son mari et leurs 12 enfants adoptés, et enfin Monaco où elle est enterrée. Il est beau le symbole de ces points d’ancrage d’une vie d’être humain qui entrent ainsi dans l’Histoire avec un grand H. Cette terre, ces terres disent plus que les mots combien l’existence est un voyage avec ses beautés et ses chutes, ses doutes et ses victoires, comme en a connu Joséphine, mariée à 13 ans, américaine devenue
française, résistante contre le nazisme engagée dans les services secrets, présente aux côtés de Martin Luther King lors du fameux discours “I have a dream”, mère de famille nombreuse, artiste qui bouscule les clichés...
Ce qui m’a frappée dans les jours qui ont précédé la cérémonie, c’est l’unanimité avec laquelle les médias ont parlé “de la première femme noire à entrer au Panthéon”. Cet accent mis sur les origines de Joséphine Baker est important bien sûr car s’il dit le chemin parcouru par cette femme, il dit aussi celui emprunté par notre société, sortie enfin des ornières qui marquent son histoire où pendant si longtemps seuls des hommes ont franchi la porte prestigieuse.
Mais, plus que quiconque sans doute, Joséphine Baker aurait été blessée d’être assignée à sa seule couleur de peau. D’où ma confusion quand je constate que l’universalisme des droits humains et le constat des multi identités qui définissait Joséphine, et qui nous définissent, sont aujourd’hui remis en cause. Comme lors de sombres passés, on cherche aujourd’hui à enfermer les individus dans des cases, une identité raciale, religieuse, sexuelle, de genres.
Ce qui nous définirait ne serait donc plus notre commune humanité, aussi complexe soit cette réalité, notre destin d’hommes et de femmes lancés dans l’aventure de la vie, marchant désormais au bord du gouffre du devenir de notre planète. Cette réflexion ne me met pas pour autant dans la case des “grandes naïves”. Bien sûr que les inégalités, les pauvretés, les précarités, les violences ne sont pas les mêmes partout. Et qu’elles doivent être combattues. C’est ce que nous a enseigné Joséphine Baker, c’est son héritage. Son héritage, c’est aussi de continuer à croire à une humanité commune, en frères et sœurs.
Et même si c’est une utopie, j’aime la revendiquer. Et la déclaration de candidature de celui qui construit son discours politique sur la dissension et la haine de l’autre, au moment même où l’on honorait Joséphine, ne peut être à mes yeux un simple hasard de calendrier mais bien une provocation de plus… Un bien triste signe ou...sire.
Nathalie Leenhardt est journaliste, ancienne rédactrice en chef du magazine Réforme. Chaque semaine, écoutez son édito dans La Matinale RCF.
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