Voici la traduction:
Souvenirs d'hier : le temps des betteraves.
La Hesbaye a toujours été, et depuis très longtemps, le pays des betteraves. Il paraît que c'est à cause de la couche de limon (bonne terre, comme on dit là-bas) sur fond d'argile, qui retient bien l'eau. Ainsi, les plantes trouvent tout ce qu'elles ont besoin pour grandir.
Premièrement, il fallait travailler la terre. Le fermier commençait à pour charruer avant l'hiver. Au printemps, il allait rouler et herser. Et il faisait cet ouvrage une deuxième fois. Tout cela rendre fine la terre. Seulement après ces deux passages, on semait les graines.
Aussi vite que sortaient les petites betteraves, on passait une première fois à la binette pour faire disparaître les mauvaises herbes, autant que pour donner de l'air de la terre. Mais avant le deuxième passage, quelques semaines plus tard, il fallait mettre ce qu'on appelait à une. Notre papa passait le premier et d'un agile coup de houe, coupait tout ce qui était sur la largeur de sa lame. Maman et nous les fils - car tout gamin, à 6 ou sept ans - nous allions déjà arracher les betteraves en double, afin qu'elles soient grosses et belles, lors de la récolte. Les scientifiques de Gembloux n'avaient pas encore découvert la graine mono-germe. Le travail qui n'avait rien de pénible s'effectuait à genoux. Ces derniers, nous les entourions d'un coussin, dans de la toile de jute, afin de ne pas se blesser. Et c'est ainsi que nous avancions au milieu des lignes ! Il nous fallait plus d'une semaine pour parvenir à finir la besogne. Encore fallait-il que les jours soient ensoleillés !
Au mois de juillet, nous retournions à campagne, pour alors couper les chardons et arracher les betteraves montées à semence. Elles ne valaient rien et à la récolte auraient fait baisser le pourcentage moyen de sucre et donc faire baisser le revenu. Il faisait souvent beau et chaud, belle occasion de bronzer.
Je me souviens que, dans les années 1969, 1970, nous étions pressés d'arriver au bout de la ligne à nettoyer. Car, tout comme nous, notre père appréciait les courses à vélo. Alors, il apportait une radio pour écouter le tour de France et les exploits d'Eddy Merckx. Nous nous arrêtions quelques minutes pour écouter l'inénarrable Luc Varenne, tout buvant au bidon, un peu de café froid et mangeant une tartine à la gelée. De forts bons moments, même si l'ouvrage était exigeant.
Au mois d'octobre et de novembre, mon oncle Joseph, de Ligny, venait nous donner un coup de main afin d'arracher les betteraves. Il arrivait souvent très tôt le matin, afin d'engager le travail. Il avait gardé du temps de sa jeunesse - lorsqu'il vint comme ouvrier saisonnier de Flandre en Wallonie - une manière bien à lui de les arracher. Un vrai maître en la matière, car il utilisait un "fortchèt", une sorte de fourche à deux dents repliées, afin d'aller chercher bien fond la racine. Puis d'un tour de rein, il la soulevait et la plaçait bien alignée, afin que celui qui passait derrière pour couper les feuilles n'ait qu'un geste régulier à poser à l'aide d'un couperet.
J'ai eu la chance de travailler avec lui, tout en le suivant de loin. Après une heure, j'avais un tel mal de bras - vous ne pouvez imaginer ! - mais il n'était pas question de chômer. Lui, l'oncle Jospeh n'était jamais fatigué.
Deux ou trois ans, plus tard, on l'a vu arriver avec une nouvelle machine. Il était toujours le premier à s'aventurer avec une nouvelle mécanique. C'était une arracheuse, pas comme celles d'aujourd'hui, mais déjà très moderne. Tirée par un tracteur, elle n'arrachait qu'une ligne à la fois. A l'avant, elle coupait les feuilles et les rejetait en ligne sur le côté, et à l'arrière, elle relevait les betteraves sur une file. Un grand progrès pour soulager un travail bine pénible ! Comme le jour où il est arrivé avec un pulvérisateur.
Je reviens un rien en arrière. Après avoir coupé les feuilles, nous les chargions à la fourche dans un tombereau. Nous allions au pré, pour les étendre afin de nourrir les vaches. Mon plus vieux frère avait le droit de conduire l'engin. Et moi, le deuxième, je me devais de vider la remorque. Il y en a toujours qui sont des privilégiés... Les vaches, elles, plongeaient là-dessus comme la famine sur le désert. Etait-ce le sucre qu'elles appréciaient ?
Aux champs, les feuilles une fois enlevées, nous allions charger, à la main, le tombereau de betteraves. Quand la remorque était quasi pleine, il fallait terminer par sécuriser les bord. Je montais dans la cargaison, choisissait les plus belles et, la tête en haut, les serreraient les unes contre les autres, afin qu'aucune ne se perde sur la route de Longchamps.
Tôt le matin, notre père partait rapidement afin de ne pas se retrouver dans la file devant la râperie. Il déchargeait les betteraves, passait reprendre les pulpes pour en faire un silo de nourriture pour les vaches en hiver. Pour faire le silo, c'était comme le boulanger qui prépare un mille-feuilles. Car les feuilles, on ne les étalaient pas toutes au pré. Il fallait en garder pour faire un silo. Pour le réaliser, nous commencions par mettre un lit de feuilles de betteraves. Après, nous étalions une couche moins épaisse de pulpes. Et ainsi de suite, afin d'achever le tas de nourriture, que l'on recouvrait ensuite d'une bâche, tenue par un lit de terre, afin que le gel n'y pénètre l'hiver.
Je ne sais si cette nourriture était si bonne que çà, mais depuis des années maintenant, les fermiers ne récoltent plus les feuilles. Il préfèrent planter du maïs ou du régras (sorte d'herbe) pour en faire des silos. Deux cultures qui n'existaient que peu, il y a cinquante ans.
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