La rupture par l’Australie de ce qu’on a appelé en 2016 le contrat du siècle qui portait sur la livraison par la France de 12 sous-marins sonne aujourd'hui en France comme un acte de haute trahison. Mais cette rupture a aussi une portée européenne.
Alors qu’en France, la rupture du deal avec l’Australie est présentée assez consensuellement comme une preuve supplémentaire de l’absence de fiabilité de l’allié américain et de la nécessité de construire une autonomie stratégique européenne, ce n’est pas nécessairement le cas dans le reste de l’Europe.
En effet, vu d’Europe, la rupture du "contrat du siècle" est principalement vue comme une défaite française et, plus encore, comme une défaite de l’industrie française. Il ne saurait donc être question, pour beaucoup d’entre eux, d’autonomie stratégique européenne. Il y a donc un fort besoin de mesure dans la façon dont les Français traitent le sujet avec les Européens.
En limitant leur analyse aux aspects étroitement industriels, les Européens risque de faire une double erreur. Tout d’abord, ils risquent de se méprendre sur la portée réelle du message adressé par les Etats-Unis.
Tout d’abord, rappelons que le contrat sur les sous-marins s’inscrivait dans une stratégie plus large, celle de la France dans la zone indo-pacifique. La France est le pays européen qui a, à la fois, le plus d’intérêts dans cette zone (avec la Polynésie ou la réunion) et le plus fort engagement stratégique. Le partenariat avec l’Australie participait pleinement de la stratégie française dans la région, stratégie qui cherche à s’affranchir de la logique de confrontation entre la Chine et les Etats-Unis. Or, cette posture stratégique, c’est celle qu’entendent défendre les Européens ; en témoigne la récente stratégie européenne sur cette zone. C’est donc la position européenne qui se trouve affaiblie.
Par ailleurs, ce n’est pas que les Français, mais tous les Européens, qui ont été tenus à l’écart de ce nouveau partenariat trilatéral. Ce que les Etats-Unis disent aux Européens c’est qu’ils sont une variable d’ajustement stratégique. Cela ne signifie pas nécessairement un désengagement des Etats-Unis de la sécurité européenne. Mais les intérêts européens sont clairement secondaires dans la bascule vers l’Asie des Etats-Unis.
La seconde erreur que risque de commettre les Européens a trait directement à la France et aux grandes orientations stratégiques de notre pays. On entend déjà, dans la bouche de certains, surtout à droite, que la France ne peut compter que sur elle-même militairement. On a même entendu que la France devrait quitter, de nouveau, le commandement militaire autonome de l’OTAN.
Bien sûr, cette dernière proposition est excessive et s’explique au moins partiellement par un contexte préélectoral. Mais, ne nous voilons pas la face, il existe une véritable tentation au sein des élites françaises de se replier sur elles-mêmes sur les questions militaires. Si les Européens ne comprennent pas ce risque et qu’ils ne tendent pas la main, d’une façon ou d’une autre, à la France, celle-ci risque de s’enfermer, de nouveau, dans un splendide isolement.
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