Chacun d’entre nous garde en mémoire, je crois, tel ou tel souvenir de professeurs qui l’ont marqué durant sa scolarité, car ils savaient allier pertinence de leur enseignement et bienveillance a l’égard de leurs élèves. De l’avis de tous ceux qui l’ont eu comme "prof", Samuel Paty comptait parmi ceux-ci. Et l’émotion est grande dans tout le pays après ce meurtre abject, au caractère complètement inhumain. Et je voudrais, ce matin encore, partager cette émotion. Mais je voudrais dire aussi - au risque de choquer quelques-uns - que l’éducateur que je suis a également été touché par la mort de cet adolescent criblé de balles. Il avait tout juste 18 ans, il voulait jouer au héros défenseur de sa religion, et a été malheureusement embrigadé dans une idéologie radicale qui l’a poussé à commettre le pire des crimes.
Ces épisodes tragiques font surgir dans tout le pays le débat autour de la liberté d’expression. Et, en mémoire de Samuel Paty, tous les élèves de nos établissements scolaires seront invités, le jour de la rentrée, à réfléchir sur ce thème. Mais derrière l’unité de façade de tous ceux qui, à juste titre, défendent cette liberté d’expression qui constitue un droit fondamental dans notre pays, se cache, je crois, une grande diversité de conceptions.
Je commencerai par dire ce qu’elle n’est pas. Elle ne consiste pas à autoriser à tout dire, tout écrire, tout dessiner. Il est interdit, par exemple, au nom de cette liberté, de dessiner des croix gammées sur les tombes d’un cimetière. Et éduquer nos enfants à la liberté d’expression ne doit pas leur laisser entendre qu’il leur est permis d’insulter leurs parents et leurs enseignants. Ils leur doivent le respect.
En fait, notre République, dans sa devise, associe la notion de liberté avec celle de fraternité. Et, si la liberté est un droit, la fraternité, quant à elle, est un devoir. Ce n’est pas un droit d’être frère, c’est un devoir. La liberté d’expression doit donc être associée, à mes yeux, avec le devoir de fraternité, qui impose le respect de chacun dans ses convictions, qu’il soit croyant ou incroyant. Il s’agit donc d’éduquer à la liberté d’expression dans le cadre de ce respect mutuel.
"Qu’on donne ample liberté aux jeunes de sauter, de courir, de crier à cœur joie !" aimait répéter Don Bosco a ses éducateurs, mais cette éducation à la liberté s’accompagnait de l’apprentissage du respect.
La caricature est un art, et, pour ma part, je considère les caricaturistes comme de véritables artistes. Songeons à l’exposition actuelle des œuvres de Cabu. Il s’agit, pour le caricaturiste, de faire rire, en aidant le lecteur à prendre un peu de distance par rapport à ses préjugés et à ouvrir le champ de sa réflexion. Mais le but est de faire rire, et non pas de blesser. Je me suis senti personnellement blessé par quelques caricatures du Christ, et comprends tout à fait la blessure que ressentent certains de mes amis musulmans lorsque l’on caricature de manière grossière leur prophète. L’œuvre du caricaturiste doit être habitée par le respect des personnes à qui il s’adresse.
Il ne s’agit pas alors, comme je l’entends ici ou là, de résumer la laïcité au droit a n’importe quel type de caricature, mais de rappeler que la laïcité est le moyen que se donne l’état pour être le garant de la fraternité entre tous les citoyens francais, quelles que soient leurs convictions religieuses ou athées.
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