Doit-on modifier la loi concernant l’irresponsabilité pénale ? C'est la question qui agite le débat depuis plus d’une semaine avec l’arrêt de la Cour de cassation dans le meurtre de Sarah Halimi. Cette sexagénaire juive a été tuée en 2017 par son voisin. Et il n’y aura pas de procès pour ce meurtrier car il a été déclaré irresponsable pénalement. L’expertise psychiatrique est formelle : Kobili Traoré était sous l’emprise d’une bouffée délirante au moment des faits notamment à cause de sa consommation de cannabis.
En France, il y a un principe juridique : on ne juge pas les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques. Mais cette affaire pose une question à laquelle la loi ne semble pas en mesure de répondre. Une personne qui a pris volontairement de la drogue, et qui subit une crise de démence, est-elle responsable pénalement ? C’est ce point que souhaite désormais éclaircir le gouvernement. Emmanuel Macron a missionné le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti de mener un projet de loi, qui devrait être présenté en conseil des ministres à la fin mai. Mais des sénateurs y avaient pensé bien avant. Dès janvier 2020, Nathalie Goulet, sénatrice centriste de l’Orne, avait déposé une proposition de loi, qui sera examinée au Sénat le 25 mai prochain, pour combler ce qu’elle appelle un vide juridique. "On ne peut pas complètement exclure que des gens qui ne veulent pas de bien à leurs concitoyens se préconstituent des preuves d'irresponsabilité", affirme-t-elle.
Selon Didier Rebut, il faut faire évoluer la loi pour la préciser. "Soit on considère que [la situation] se découpe en phases distinctes les unes des autres où on regarde l’individu au moment où il agit et il n'y a pas de responsabilité pénale. Soit on la regarde comme un continuum et on voit que tout ce qui a précédé est une situation où il n’y a pas d’abolition du discernement et cela ouvre la voie à une responsabilité pénale. Le droit français est plutôt isolé dans cette conception que je trouve trop simpliste. Il doit y avoir des distinctions entre les situations", estime ce juriste pénaliste, enseignant à l’université Paris II Panthéon Assas. Concernent le meurtre de Sarah Halimi, sa sœur a annoncé son intention de porter plainte en Israël contre Kobili Traoré. Mais la démarche a peu de chance d’aboutir : la France n’extrade pas ses ressortissants.
Cette volonté de modifier la loi inquiète les professionnels de la justice. Ils craignent que l’on empiète sur le principe fondamental de ne pas juger les personnes souffrant de troubles psychiatriques. "Le droit romain disait déjà qu’on ne jugeait pas les fous et on a l'impression qu’on veut revenir en arrière. Dans ce dossier, il y a bien un trouble du discernement. Ce serait une grave régression pour notre humanité d’en venir à juger des personnes qui ont un trouble grave du discernement”, craint Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats.
Car il faut bien comprendre que le meurtrier, Kobili Traoré avait très peu de traces de cannabis dans le sang. Il souffrait avant tout de troubles psychiatriques. "C’est quelqu'un qui consommait régulièrement du cannabis mais personne ne peut dire que l’épidose psychotique aigü est dû à la consommation de cannabis. Il y a souvent une étrication entre maladies psychotiques graves et consommation de substances", explique Paul Jean-François, psychiatre expert auprès des tribunaux et membre de la Fédération française de psychiatrie. Pourtant, quand l'auteur d'un crime est pénalement responsable, la consommation de drogue ou d’alcool est une circonstance aggravante.
Dans l'affaire Sarah Halimi, s’il n’est pas responsable pénalement, le meurtrier a bien été reconnu coupable de son crime et le caractère antisémite du crime a bien été reconnu. Le meurtrier peut donc être pénalement irresponsable mais coupable d’un crime, rappelle Cécile Mamelin. La juge ajoute que s’il n’ira pas en prison, Kobili Traoré sera interné en psychiatrie, potentiellement à vie. "On réclame pour ces individus une peine de prison alors même que l’internement psychiatrique sera pour lui plus long et difficile que la prison. En milieu psy, vous n’avez pas de libération conditionnelle, pas de remise de peine. Quand il y a eu des meutres particulièrement horribles, ces personnes-là restent internées à vie", explique-t-elle.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !