Après Hong-Kong, la Chine regarde maintenant de manière de plus en plus insistante du côté de Taïwan. Alors que Pékin a doucement saigné la démocratie hongkongaise, il n’y a plus grand monde pour croire à la promesse "un État, deux systèmes" que le pouvoir communiste faisait miroiter aux Hongkongais mais aussi aux Taïwanais. Depuis début 2021, 700 avions de combat chinois ont pénétré dans la zone de défense aérienne de Taiwan. Sur ce petit archipel de 23 millions d’habitants, situé à moins de 200 kilomètres des côtes de la Chine continentale, l'intérêt grandissant de Pékin encombre et inquiète !
Premier élément important : ces tensions ne sont pas nouvelles. Si on considère notre histoire moderne, elles remontent à 1949, lorsque les communistes de Mao Zedong accèdent au pouvoir en Chine continentale, chassant ainsi du pouvoir les nationalistes chinois du parti du Kuomintang, dirigé par Tchang Kaï-chek. Alors que sur le continent, naît la République Populaire de Chine que nous connaissons aujourd'hui, Tchang Kaï-chek et ses nationalistes, se réfugient à Taiwan pour perpétuer la République de Chine.
Les deux États chinois revendiquent alors la légitimité du pouvoir. Pour les nationalistes, Taïwan devient une base arrière pour préparer la reconquête de la Chine continentale. Pour les communistes chinois, Taïwan devient et reste aujourd'hui un symbole à abattre pour, d'une certaine façon, mettre fin définitivement à la guerre civile et ramener l'île dans le giron de la grande Chine unie.
Taïwan est un étrangeté et une singularité depuis toujours
Au-delà de cette histoire récente Taïwan à un statut particulier depuis longtemps. "De 1895 à 1945, l'archipel a été une colonie japonaise et cela a évidemment laissé des traces y compris dans la singularité de l'île et du ressenti de ses habitants" rappelle Emmanuel Lincot, sinologue, professeur à l’institut catholique de Paris, chercheur à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et auteur de Chine et terres d'Islam: Un millénaire de géopolitique (ed. Puf). "La majorité des habitants de Taïwan est ethniquement chinoise, mais il y a un passé historique qui relie l'archipel à une histoire japonaise, et même aborigène si on remonte plus loin. Cela explique que Taïwan est une étrangeté et une singularité depuis toujours".
Plus récemment, à la fin des années 1980, alors que le pouvoir chinois devenait le régime autoritaire que l’on connaît aujourd’hui, Taïwan, après des décennies de répression nationaliste, est devenu un véritable laboratoire de la démocratie en Asie. "Avec la démocratisation à la fin des années 1980, on sort complètement de ce cadre de la guerre civile chinoise entre nationalistes et communistes" explique Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie de l’Institut Montagne. "On rentre alors dans un exercice de souveraineté populaire avec des élections régulières. En 1996, la président de la République est désigné pour la première fois au suffrage universel direct. Cette élection a maintenant lieu tous les quatre ans et Taïwan a déjà connu deux alternances".
Il y a un véritable attachement à la démocratie taïwanaise
Dernière alternance en date : 2016, lorsque Tsai Ing-wen, leader du parti démocrate progressiste accède au pouvoir. Elle a été réélue en 2020 et "elle représente un courant plutôt modéré du Parti démocrate progressiste qui a lui un agenda pro-indépendance" détaille Mathieu Duchâtel. "Tsai Ing-wen cherche avant tout à maintenir le statu quo pour protéger les acquis, tout en restant très clairement dans le camp identitaire taïwanais".
L'avènement de la démocratie s’accompagne en effet d’un fort sentiment d'identité taïwanaise, avec sa langue, sa monnaie et ses institutions. Identité qui est portée aujourd’hui par la jeunesse. "Lorsqu'on demande aux habitants, à travers des sondages, s'ils se sentent juste chinois, juste taïwanais ou chinois et taïwanais, ceux qui répondent "juste chinois" ne représentent que 3% de la population. Il y a donc un véritable attachement à la démocratie taïwanaise" expose Jean-Yves Heurtebise, maître de conférence de l’Université catholique de FuJen à Taiwan, chercheur associé au CEFC et coéditeur de la revue Monde Chinois Nouvelle Asie
Intimidation chinoise
La politique chinoise à l'égard de Taïwan s'est radicalisée depuis quelques années. Notamment "pour punir la population taïwanaise d'avoir porté au pouvoir le Parti démocrate progressiste" selon Jean-Yves Heurtebise
L'intimidation militaire chinoise sur Taïwan s'est intensifiée, pourtant, comme pour Hong-Kong, le pouvoir communiste avait proposé dans un premier temps la solution "un État, deux systèmes". Pour Mathieu Duchâtel, on trouve donc "deux volets à la politique taïwanaise de la Chine : la carotte et le bâton. La carotte, c'est l'ouverture économique que promet la Chine avec un accès à son marché. Le bâton, c'est une loi anti-sécession votée par Pékin, l'intimidation militaire et la menace de conflit en cas de déclaration d'indépendance de Taïwan".
Alors aujourd’hui que cherche la Chine en voulant asseoir son influence à Taïwan ? L'archipel s’est construit ces dernières années en opposition à la Chine et il y a donc un symbole à abattre pour Pékin. Il y a aussi une question économique, car l'île est une des leaders internationales des semi-conducteurs, essentiels à l’industrie technologique mondiale. Enfin, il y a une dimension géographique et donc géopolitique. "Si vous vous emparez de Taïwan, vous vous emparez des principales voies maritimes du monde. Il y a pratiquement 80% du fret internationale, qui compte pour la Chine, le Japon ou encore la Corée, qui transit par ces voies de passage" analyse Emmanuel Lincot.
"La Chine est bloquée dans sa projection maritime vers le Pacifique et l'Atlantique. Or, ce réseau est très important car l'acheminement des matières premières de la Chine, notamment énergétiques, passe à proximité du détroit de Taïwan" ajoute Jean-Yves Heurtebise.
Ces velléités chinoises vers Taïwan et vers le Pacifique ne sont bien sûr pas du goût des États-Unis. D'ailleurs, dès 1949, l'archipel devient un enjeu géostratégique. Lorsque les nationalistes chinois s’emparent de Taiwan, on entre dans une logique de guerre froide. A l'époque, pour les Américains, c’est l’occasion de faire contrepoids face aux communistes chinois. Ensuite, les Etats-Unis vont adopter une posture plus floue et ils entretiennent depuis une "ambiguïté stratégique" concernant leur soutien à Taiwan. Récemment, Joe Biden a quand même réaffirmer son soutien. Le président américain a soutenu avoir un engagement à défendre l’île que Pékin considère comme l’une de ses provinces. Néanmoins, une ambiguïté demeure selon Mathieu Duchâtel. "Nous n'avons pas de clarté stratégique et il y a une ambiguïté qui vise à ne pas trop encourager les indépendantistes Taïwanais à prendre des risques".
En effet, à l'heure actuelle, aucun traité n’oblige Washington à intervenir en cas d’attaque de la Chine. Les Américains sont soucieux de préserver le statu quo, ce qui implique de ne pas pousser les indépendantistes taiwanais à déclarer l’indépendance.
Ces tensions géopolitiques font dire à certains observateurs que cette zone du globe sera le prochain épicentre d'un potentiel troisième conflit mondial. D'autant que pour beaucoup, la question n'est pas de savoir si la Chine va envahir Taïwan, mais plutôt quand. "C'est surtout la question de la temporalité qui est posée : quand est-ce qu'on y va ? Et quel seront les moyens engagés ? Quand le président chinois Xi Jinping affirme que Taïwan doit revenir dans la mère patrie, sans dire quand, ni comment, tout le monde comprend que cela va se faire sous sa mandature" conclut Emmanuel Lincot.
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