Chaque jeudi, à travers sa chronique dans Midi Lorraine, le père Stéphane Jourdain nous livre son regard sur l'actualité. Cette semaine, le prêtre de la paroisse de Montigny-les-Metz nous parle de la réforme des retraites.
RCF : Bonjour Stéphane… je découvre qu’aujourd’hui vous voulez nous parler des retraites !
Stéphane Jourdain : Oui, car soyons sérieux et un peu corporatistes, les curés, ça nous concerne les retraites… On en fait 3 ou 4 par an ! Retraite avec les confirmands, avec les communiants, retraite personnelle… Je vous vois consterné, car vous n’imaginiez pas en abordant le thème des retraites que j’allais parler de ces retraites. Pourtant, il me semble qu’il faille revenir un peu à l’étymologie des mots pour comprendre de quoi on parle actuellement dans l’actualité en évoquant la réforme des retraites. Le mot « retraite » signifie se mettre en retrait. Une retraite spirituelle, c’est arrêter pendant quelques heures ou quelques jours ce qu’on fait pour laisser le Seigneur nous rejoindre, ou plutôt pour nous laisser rejoindre le Seigneur qui est à nos côtés. En bref, c’est sortir d’une frénésie d’activité pour vivre autre chose, pour refaire nos forces physiques et spirituelles, avant de repartir dans la vie ordinaire. Vous voyez, on n’est pas dans le concept de tout arrêter…
RCF : D’accord Stéphane, on peut jouer sur les mots, mais au final, vous en pensez quoi de cette réforme des retraites ?
SJ : Déjà qu’elle porte bien mal son nom… Je bosse avec pas mal de bénévoles, qui sont pour la plupart des retraités… Alors certes, la différence entre eux et moi, c’est quoi moi je suis salarié pour mettre en œuvre la mission reçue de l’Église, tandis qu’eux sont justement bénévoles. Mais certains travaillent vraiment beaucoup, avec une conscience professionnelle, si j’ose dire, épatante. En se donnant sans compter. Et c’est sans compter les heures de baby-sitting pour leurs petits-enfants. Certes, ils ne sont pas salariés, et ne sont à ce titre tenus par aucun engagement, ils peuvent arrêter quand ils veulent leur engagement. Mais je peux témoigner que c’est rarement comme ça que ça se passe… En outre, une partie de l’argent qu’ils touchent part parfois dans la poche de leurs enfants, pour les soutenir… Comme quand ils étaient salariés… Donc la retraite, c’est juste, pour beaucoup d’entre eux, un changement de rythme, où ils s’accordent un peu plus de temps pour eux, pour se soigner, pour voyager, mais où ils continuent bien souvent une vie active quand ils le peuvent… Ils se mettent en retrait de vie salariée, mais continuent d’œuvrer…
RCF : Et donc, vous pensez que s’ils travaillent après leur cessation d’activité, c’est qu’ils peuvent travailler plus longtemps, c’est ça ?
Pas tout à fait… En fait j’essaye de sortir de ce raisonnement du « plus ou moins ». Plus longtemps pour gagner plus, moins longtemps pour partager le travail… Vous entendez ça à longueur de journée… Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on fait comme travail… Hier je discutais avec un instituteur qui va avoir 60 ans dans 3 mois, et qui me disait avoir cessé son activité en juin dernier, pour en prendre une autre, tant il n’arrivait plus à faire son métier. C’est un homme, et on lui reprochait d’avoir une voix d’homme, qui faisait peur aux enfants… Après 35 ans de carrière, voilà que les petit bout-d’choux sont désormais traumatisés par sa voix…
Cet exemple pour illustrer qu’on n’est pas obligé de travailler à 60 ans comme à 30 ! Que l’essentiel, c’est aussi de trouver son épanouissement dans le travail qu’on réalise. Il y a des éboueurs qui sont plus heureux de ce qu’ils font (on les a même applaudis il y a quelques mois) que des ingénieurs ou que des profs… La question à se poser est celle de ce qu’on retire du travail, et dans ce cadre, peut-être faut-il en changer plus souvent pour certains, avec une évolution de carrière et de fonction. Qu’est ce qui empêche un prof, je reprends cet exemple, de devenir inspecteur et d’aider des jeunes collègues, ou alors d’écrire des manuels sur la fin de sa carrière, quand il sent que les élèves (ou leurs parents) commencent à l’insupporter… Voire de travailler dans des services municipaux…
RCF : Plus que la question de la retraite, c’est la question du travail que vous abordez en fait…
SJ : Avec ses corollaires : la pénibilité, la difficulté, le chômage, la formation, la réorientation. Le tout n’est pas de sortir du monde du travail pour continuer à travailler autrement (dans le bénévolat), mais de voir comment on pourrait mieux accompagner les travailleurs ou ceux qui en sont exclus. Je connais des mères de famille qui cherchent du travail à temps partiel, pour continuer à s’occuper de leurs enfants, et qui ont du mal à trouver. Des personnes qui ont des diplômes dans d’autres pays de l’Europe et qui ne peuvent pas les faire reconnaitre ici pour enseigner. Quand M. Mélenchon parlait lors de la campagne présidentielle de Revenu Universel, je n’y suis pas opposé, tant l’État soutient déjà de nombreuses personnes, mais j’y ajoute un retour, un service engagé dans le bénévolat, dans la formation, l’accompagnement…
La question de la réforme des retraites, c’est avant tout, me semble-t-il, celle de la réforme du monde du travail, avec moins d’oppression de la part des employeurs parfois, moins de dilettantisme de la part des employés parfois aussi. Cette réforme, c’est celle de notre conscience collective d’être un peuple, une nation, et de trouver aussi du plaisir dans ce qu’on fait… Salarié ou pas… Ok, je sais que c’est un propos un peu iréniste, on pourrait dire que je vis dans le monde des bisounours… Mais c’est en rêvant de voler qu’on a réussi à créer des avions, pourquoi ne pas imaginer autre chose autour du travail ? Ça, se serait une réforme ! Et les prêtres, avec notre retraite à 75 ans, et notre joie de servir, on montre peut-être un peu le chemin… Pour moi, ce sera dans 9729 jours ! D’ici là, je file bosser…
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