L'évêque de Liège réagit à une brochure de 60 pages intitulée « Rendons l’Eglise au peuple de Dieu ! Pour en finir avec le cléricalisme ». Ses 9 auteurs proviennent principalement du vicariat de la santé du diocèse de Liège. Ils et elles plaident pour l'abolition du clergé et du sacerdoce comme remède au cléricalisme. En 48 heures, une pétition opposée aux thèses de cette brochure a rassemblé plus de 600 signataires.
L'initiative de cette brochure émane d'un groupe d'une dizaine de catholiques engagés dans le diocèse de Liège, surtout au vicariat pour la santé, dont sa responsable la déléguée épiscopale et théologienne UCLouvain Caroline Werbrouck, mais également deux prêtres: Xavier Lambrecht et Roger Franssen, des professeurs de religion et une religieuse active à la Casa Béthanie en plein centre de Liège. Durant un an, ils ont accueilli et écouté un historien de l'Eglise et évêque, un liturgiste, un canoniste, un pasteur protestant, un théologien connaisseur de la pensée de Joseph Moingt pour réfléchir à la manière dont les sacrements sont vécus aujourd'hui.
"L'intuition initiale était de sortir du cadre de réflexion actuel pour permettre une créativité saine et productive, prometteuse d'avenir. Ils ont distribué cette brochure lors de divers évènements dont la journée d'élection du conseil presbytéral. C'était assez audacieux puisque c'est l'évènement lors duquel les 375 prêtres du diocèse de Liège élisent les 30 prêtres du "sénat de l'évêque".
Ils posent de bonnes questions sur la manière la plus appropriée d'accompagner les souffrants et la façon dont sont donnés et surtout vécus les sacrements. Ils posent un regard critique sur l'Eucharistie : "aujourd'hui encore, la préoccupation de l'Eglise reste "eucharisticocentrée" : l'important est de célébrer des messes. Quand on envisage un rassemblement, le point central doit être l'eucharistie. Que font 2 chrétiens quand ils se rencontrent ? Ils font une messe !". Ils poursuivent : "à notre point de vue, une fausse bonne idée de penser ordonner des femmes et/ou des hommes mariés. Cette idée se fonde sur la nécessité d'avoir à tout prix un clergé quitte à modifier les règles d'accès au sacré. Mais cette idée ne va nullement apporter un souffle nouveau aux communautés et à l'Eglise. Nous sommes là, toujours, dans du cléricalisme aveugle. (...) Un canoniste réputé dans notre diocèse disait que séparer gouvernance et prêtrise était un non-sens ... Nous affirmons l'inverse : ce serait un service à rendre à l'Eglise. Nous pensons même que, pour supprimer le cléricalisme, il faut supprimer le clergé."
Forcément, un groupe de baptisés du diocèse de Liège n'a pas tardé à réagir en lançant une pétition en ligne qui a regroupé plus de 600 signataires en 48 heures. ( Lien vers la pétition ) Ils expriment que le groupe des auteurs de la brochure n’est pas représentatif de tous les baptisés de leur Diocèse. Ils souhaitent aussi "redire toute l’importance du sacerdoce, sans gommer le sacerdoce filial des baptisés, mais en réaffirmant leur magnifique complémentarité. Ce faisant, ils souhaitent aussi dénoncer les erreurs véhiculées par des théologiens qui, profitant de l’ignorance du Magistère de l’Église catholique chez beaucoup de baptisés, brouillent leurs esprits et conduisent de trop nombreux croyants à sauter hors de la barque de Pierre en pleine tempête."
Ils dénoncent la fait que "ce groupe justifie sa proposition en affirmant par la foi chrétienne « le dépassement et l’annulation de tout culte sacré, de toute fonction sacrée, de tout sacerdoce. » (p. 44) Pour ces auteurs, d’ailleurs, « il n’y a pas de sacré chrétien ». Ce texte gomme aussi la réalité de l’appel de Dieu qui choisit et appelle Ses consacrés : on ne reconnaît dans les prêtres que la dimension strictement horizontale, humaine et sociale de leur mission.
Pointant le cléricalisme de certains prêtres (décrit comme une généralité) le désir avoué de ces 9 auteurs est de donner aux laïcs l’égale mission de dispenser les sacrements.
Entre erreurs historiques et raccourcis théologiques criants, les auteurs semblent encourager le modèle protestant. On y rêve d’une Église qui lâcherait sa doctrine au profit d’une adaptation aux idées et aux mœurs de notre temps."
Est-ce l'esprit du synode sur la synodalité du pape François qui suscite tant de controverses ? Le dialogue doit-il prendre la forme de brochures et de pétitions ? Cela traduit-il une fracture entre les extrêmes "progressistes" ou "conservateurs" ? Quelle place pour l'Evangile et la complémentarité des états de vie entre prêtres, consacrés, et laïcs selon le voeux du Concile de Vatican II ?
Mgr Jean-Pierre Delville lors de l'anniversaire de Sant'Egidio à Liège
La brochure controversée venant d'équipes au service du diocèse, et les réactions affluant, Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège s'est informé, a lu la brochure et a réagi rapidement par le biais d'un communiqué diffusé sur le site de l'évêché de Liège le 17 février. Il rappelle que le diocèse de Liège est ouvert à la réflexion théologique et au débat contradictoire mais regrette que les réponses apportées dans cette brochure soient mal instruites. Il constate que certains propos sont ressentis comme injurieux et injustes par beaucoup de prêtres, de diacres et de chrétiens laïcs. Il les perçoit même comme totalement fausses. Voici le texte intégral de son communiqué :
Supprimer l’ordination des prêtres dans l’Église catholique ?
Une brochure récente a été éditée, à Liège, sous le titre « Rendons l’Église au peuple de Dieu ! Pour en finir avec le cléricalisme ». Elle met en cause l’ordination des prêtres et porte un jugement péremptoire à leur égard : « Peu d’entre eux sont capables de relations vraies égalitaires, donc fraternelles avec les chrétiens qui les entourent » (p. 25). Dès lors les auteurs affirment : « nous remettons en cause l’ordination elle-même », y compris donc celles des diacres et des évêques (p. 36). Ils ajoutent : « Pour supprimer le cléricalisme, il faut supprimer le clergé » (p. 47).
Ces paroles sont ressenties comme injurieuses et injustes par beaucoup de prêtres, de diacres et de chrétiens laïcs. Je les perçois comme totalement fausses quand je pense à la somme de dévouement que j’ai constatée chez les prêtres et les autres acteurs pastoraux de notre diocèse depuis bientôt dix ans d’épiscopat. Sans nier le scandale des abus commis par certains, les carences pastorales d’autres et les limites propres à la nature humaine, je suis heureux de constater combien les prêtres et les diacres, les religieuses et les religieux, les chrétiens laïcs, femmes et hommes, s’engagent au service de l’Église. Je les remercie de se soutenir mutuellement dans la mission. J’ai mis sur pied un Vicariat à l’accompagnement des prêtres et des autres acteurs pastoraux pour permettre à chacun de mener avec sérénité son ministère ou son service, dans le cadre des difficultés multiples que cette mission rencontre.
Ancré dans la Parole de Dieu et porté par la tradition de foi, le diocèse de Liège est ouvert à la réflexion théologique et au débat contradictoire. Les questions de départ posées par les auteurs sont très pertinentes, mais les réponses sont mal instruites. Je regrette le caractère caricatural de ce livret, mais plus encore, le fait que la réflexion présentée dans la brochure conteste la position du Concile Vatican II et condamne deux mille ans de vie chrétienne. Pour éviter le cléricalisme, le diocèse de Liège s’est engagé résolument dans la démarche synodale demandée par le pape François et la poursuit avec assiduité en préparant un Conseil pastoral diocésain.
J’assure les prêtres et les séminaristes, les religieuses et les religieux, ainsi que tous les acteurs pastoraux du diocèse de Liège, de ma sollicitude à leur égard. J’encourage chacun à vivre son ministère ou son service avec zèle et fraternité. J’encourage d’ailleurs les vocations de prêtres et de diacres, ainsi que les vocations aux ministères laïcs institués par le pape François, qui se manifesteront dans notre diocèse ; j’espère célébrer cette année des ordinations de diacre ou de prêtre. Je me réjouis de ces développements prometteurs qui montrent le dynamisme et la foi de notre Église locale.
Liège, le 17 février 2023
Jean-Pierre Delville, évêque de Liège
Nul doute que le synode sur la synodalité suscite de vastes débats et que la crise des abus dans l'Eglise fait des vagues.
Le pape François en présence du couple présidentiel du Bénin
En 2018, le pape François avait invité 73 nouveaux évêques à fuir le cléricalisme : "Soyez des hommes pauvres en biens et riches en relations, jamais durs ou dans la confrontation mais affables, patients, simples et ouverts", avait-t-il dit. "Dédiez du temps et de l'énergie aux pauvres, sans avoir peur de vous salir les mains et à faire preuve de patience avec les jeunes, même s'ils semblent contaminés par le virus de la consommation et de l'hédonisme, ne les mettons jamais en quarantaine. Ne vous reposez pas sur vos lauriers: "Méfiez-vous de la tiédeur qui porte à la médiocrité et à l'apathie, ce 'démon de midi'. Méfiez-vous de la tranquillité qui esquive le sacrifice, du zèle pastoral qui porte à l'intolérance, de l'abondance des biens qui défigure l'Evangile. N'oubliez pas que le diable entre par les poches!"
En premier lieu, étymologiquement, le cléricalisme semble viser les prêtres. Le pape le définit comme une « manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église ». Or, elle concerne aussi bien le prêtre, dans la manière dont il se perçoit, que les laïcs, dans leur manière de se comporter avec lui... Le cléricalisme touche donc tous les états de vie. Des paroissiens présents depuis vingt ans dans les équipes d’animation pastorale dont ils empêchent le renouvellement, d’autres qui se posent en défenseurs d’un ordre établi sous prétexte qu’ils se sont vu confier une mission par le curé… Les exemples de cléricalisme laïc ne manquent pas.
A propos du rôle des femmes dans l'Eglise, le pape François affirmait dès décembre 2013 que « les femmes dans l’Église doivent être estimées à leur valeur et pas cléricalisées », rejetant l’idée de cardinales. D’une certaine manière, cléricaliser les femmes reviendrait en effet à perpétuer le modèle clérical. « Leur place dans l’Église, les femmes doivent l’avoir en tant que femmes », insiste l’historienne féministe Lucetta Scaraffia, responsable du supplément « Femmes Église Monde » de L’Osservatore romano qui dit ne pas croire aux femmes prêtres. Pas plus qu’aux diaconesses, sujet que le pape François a confié à une commission.
Le 9 juin 2021, pour le 5ème anniversaire de l’exhortation apostolique Amoris laetitia, le pape François a souhaité la création d’un réseau "qui, dans la complémentarité des vocations et des états de vie, dans un esprit de collaboration et de communion ecclésiale, puisse annoncer l’Évangile de la famille." N'est-ce pas une invitation à rendre l'Eglise au peuple de Dieu dans la complémentarité des états de vie, qu'elle soit sacerdotale, consacrée ou laïque ?
L’Eglise ne se résume pas à une hiérarchie, Carine Dequenne
Article et podcast RCF
Supprimer l’ordination des prêtres ? A Liège, une brochure crée la polémique
Article de Vincent Delcorps de CathoBel
Dix pistes pour sortir du cléricalisme
Article du journal La Croix
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