Les "Justes" sont des personnages rares. Mais ils existent. Le bien combat contre le mal. Y compris quand il perd, et il perd souvent dans l’histoire des hommes, il s’est battu. Que du cœur du pire, du plus insoutenable, des femmes et des hommes de bien se lèvent et luttent, là est l’incroyable, l’invraisemblable miracle qui tient l’humanité debout, qui la sauve au creux du chaos du mal.
À travers une galerie de témoignages, étincelles éblouissantes, c’est le récit au cœur brûlant de Jean Hatzfeld, dans Là où tout se tait, issu de sa dernière enquête au Rwanda.
Faut-il encore le rappeler ? Le génocide commis au Rwanda, en 1994, par une population civile hutue alors frappée de démence a fait « plus de 800 000 Tutsis tués en moins de cent jours dans le pays. » De sinistres chiffres à peine égalés « de début août à fin octobre 1942 », et avec des moyens autrement plus industriels, par « la machine exterminatrice nazie, à son régime le plus haut ».
Au creux de ce mal absolu, l’extrême de la bonté a existé. Des justes anonymes, qui pour la plupart ne sont plus là pour témoigner et n’ont eu aucune reconnaissance. En Europe d’abord les Justes auront eu bien du mal à trouver une place. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu’ils soient considérés essentiels à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, à la suite du travail fait par le Mémorial de Yad Vashem.
Un silence entoure les Justes. Non seulement parce qu’ils incarnent la trahison pour leur camp, mais, surtout parce que les Justes incarnent le mensonge des tueurs dit Jean Hatzfeld. Voilà bien ce qui se joue du drame de l’humanité. Que la bonté qui risque sa vie, par amitié, par amour ou simplement par instinct, donne à voir le mensonge des tueurs qui affirmaient n’avoir pu faire autrement car obéissants aux ordres.
« Dieu nous propose des libertés, j’en ai pris une », observe Valérie Nyirarudodo, une sage-femme qui a sauvé l’enfant d’une Tutsi. « J’ai refusé la mort chez moi, j’ai choisi la traîtrise ethnique, j’ai proposé une gentillesse secourable dans un moment risquant sans balancer. Risquant comment ? Tu cachais un Tutsi dans tes sorghos, tu méritais un coup de machette. C’était péché capital », constate Jean-Marie Vianney Setakwe, un agriculteur qui a indiqué à trois Tutsi qui zigzaguaient en tremblant à travers les bananiers comment survivre.
Là où tout se tait est un geste de remémoration fraternelle qui donne abri à quelques êtres rares, des Hutu qui ont cédé au mystérieux désir de se tenir bien dans cette déflagration qui ne laissait ni le temps de penser ni de s’organiser. Mais « entre nous, c’était la gentillesse invincible ».
Alors par fidélité envers ces Justes nous sommes convoqués à habiter pour de vrai notre commune humanité, là où s’ancre la bonté.
Véronique Margron, op.
Jean Hatzfeld, Là où tout se tait, Collection Blanche, Gallimard, 2021
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