Depuis 2014, plus de 20.000 personnes se sont noyées en mer Méditerranée. Cela représente la population d’une ville comme Cahors ou Dax. D’autres ont péri dans l’Atlantique en tentant de rejoindre les Canaries, certains se noyés dans la Bidasoa à la frontière franco-espagnole où ont chuté dans les Alpes.
Une grande partie de ces migrants ne seront jamais retrouvés. En mer Méditerranée, la Croix rouge mène des missions pour aider les États et ONG à relever des indices sur les corps repêchés. Pour espérer identifier un jour ces personnes, cela passe par l’ADN mais pas seulement. "Ce n’est pas uniquement le corps lui-même qui peut aider l’identification mais aussi ce que la personne portait sur elle qui peut donner des pistes", précise Lucille Marbeau, communicante au CICR à Paris.
Les enquêtes passent aussi par les réseaux sociaux. Hervé Zoumoul par exemple gère la page Facebook "Protégeons les migrants pas les frontières". Il diffuse des avis de recherche de migrants disparus et tente de retrouver leur trace avec ses contacts en Espagne à partir de quelques informations. "Je demande si la personne a pris un bateau, je demande le nombre de personnes qui étaient dedans", détaille-t-il.
C’est un drame dans le drame qui porte un nom : la perte ambigüe. "C’est ce qui peut toucher un individu quand il n’est pas possible de tourner la page. On n’aura pas de nouvelles mais être certain du décès est impossible", explique Anna Cognet, psychologue et enseignante à l’université de Picardie.
D’où l’importance des funérailles. En France, quand cela est possible, des paroissiens, des bénévoles et des élus se sont mobilisés pour organiser des obsèques. Francine Dardenne élue de l’opposition à Briançon a été confrontée à cette situation à différentes reprises notamment celle d’une jeune femme nigériane tombée dans une rivière. "Son corps a été retrouvé à une bonne dizaine de kilomètres de là où a lieu l’accident. Pour les bénévoles, il était important qu’on puisse l’enterrer sur la commune de Val-des-Prés et le maire de l’époque a refusé. Et c’est sur la commune où elle a été retrouvée qu’elle a été enterrée", se souvient l’élue.
En Tunisie c’est un cimetière particulier qui a vu le jour. L’artiste algérien Rachid Koraichi a été choqué par la façon dont étaient enterrés en Tunisie les centaines de corps repêchés. Lui-même a vécu le drame de perdre son frère noyé en 1963 lors d’une baignade, jamais retrouvé. Alors en 2018, il achète un terrain à Zarzis près de la frontière libyenne. Il y a construit un cimetière, le jardin d’Afrique, à la fois une œuvre, un lieu de recueillement de mémoire et d’espoir pour les familles. "C’est le seul lieu au monde qui donne une visibilité à la présence de tous ces corps. Je voulais donner la première marche du paradis. Il y a 5 oliviers pour les 5 piliers de l’islam. Il y a une salle de morgue à côté. pour être enterré décemment. Respecter les morts c’est aussi respecter les vivants", affirme-t-il.
257 corps reposent dans ce cimetière. Les tombes portent un numéro et la mention du lieu de la découverte du corps ou la mention d’un vêtement. Il a été inauguré début juin mais il se remplit vite et Rachid Koraichi envisage désormais de l’agrandir.
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