Entre inquiétude, colère contre l'inaction et le climatoscepticisme et désir de faire bouger les lignes, le pape François ira à la COP 28. Parce que pour lui, ne rien faire alors que "le monde s’effrite et s’approche peut-être d’une rupture" serait "suicidaire". Difficile de dire quel impact aura ce voyage de François à Dubaï.
"Oui, j’irai à Dubaï. Je pense que je partirai le 1er décembre jusqu'au 3 décembre. J'y resterai trois jours" a annoncé le pape à l'occasion d'un entretien avec le directeur de l'information de la première chaîne de la RAI, la télévision publique italienne. C'est la première fois qu'un pape se rend à une COP. En novembre 2021 déjà, François avait annoncé qu'il irait à Glasgow, en Écosse, pour la COP26. Avant d'y renoncer face à l’impasse vers laquelle se dirigeait le sommet.
Mais cette fois l'urgence est trop grande : "le monde s’effrite et s’approche peut-être d’une rupture" a écrit le pape dans l'exhortation apostolique Laudate deum, publiée le 4 octobre dernier. La tonalité globale de ce texte témoigne de l'immense inquiétude du pape, et même de sa colère face à l'inaction des responsables politiques et économiques. Et de sa conscience d'un échec collectif : "Nous avons été mauvais en matière de sauvegarde de la création." Pourtant, il refuse la résignation : "On peut encore tout arrêter, affirme-t-il dans l'entretien à la RAI. Notre avenir est en jeu. L'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. Nous devons faire preuve de responsabilité."
Nous avons été mauvais en matière de sauvegarde de la création
En matière d'écologie comme sur d'autres sujets, le pape François tente de pratiquer une dénonciation lucide et sans concession de l'inaction et de la préservation d'intérêts particuliers. Notamment ceux des plus riches, et en particulier ceux des entreprises pétrolières et un dialogue avec les responsables du maintien de structures qui empêchent la transition énergétique.
Ainsi, il a reçu le 11 octobre au Vatican, le président de la Cop28, le Sultan Al-Jaber, ministre de l’Industrie et patron de la compagnie pétrolière des Émirats arabes unis. Et pourtant, il n'occulte pas le caractère gênant de la tenue de la COP aux Emirats arabes unis, l’un des plus grands producteurs d’hydrocarbures au monde, et l’un des plus gros émetteurs de CO2 par habitant.
"Les Émirats Arabes Unis accueilleront la prochaine Conférence des Parties (COP28). C’est un pays du Golfe Persique qui se définit comme un grand exportateur d’énergies fossiles, bien qu’il ait fait d’importants investissements dans les énergies renouvelables. Pendant ce temps, les compagnies pétrolières et gazières ambitionnent de réaliser de nouveaux projets pour augmenter encore la production. Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique" analyse le pape dans le paragraphe 53 de Laudate Deum. Le pape ne va sans doute pas à Dubaï de gaieté de coeur, mais il fait le pari qu'y aller aura plus d'impact que de ne pas y aller.
Le pape François peut-il contribuer à ce que, à l'issue de cette 28ème COP sur le climat, l'Accord de Paris ne soit pas définitivement mort et enterré ?
De nombreux et nombreuses militants et militantes écologistes sont sensibles aux paroles du pape sur le sujet, estimant que ce genre de parole forte peut aider à construire un nouvel imaginaire et appuyer leurs luttes. C'est ainsi que nombre de militants se sont sortis confortés par le paragraphe 58 de Laudate deum : "Finissons-en une bonne fois avec les moqueries irresponsables qui présentent ce sujet comme étant uniquement environnemental, “vert”, romantique, souvent ridiculisé par des intérêts économiques. Acceptons enfin qu’il s’agit d’un problème humain et social aux multiples aspects. C’est pourquoi le soutien de tous est nécessaire. Lors des Conférences sur le climat, les actions de groupes fustigés comme “radicalisés” attirent souvent l’attention. Mais ils comblent un vide de la société dans son ensemble qui devrait exercer une saine “pression” ; car toute famille doit penser que l’avenir de ses enfants est en jeu." Il est trop tôt pour savoir si le message du pape sera entendu et approuvé à la Cop 28. Quoiqu'il en soit, le soutien de cette figure religieuse et politique est un symbole fort pour les militants et militantes écologistes.
Finissons-en une bonne fois avec les moqueries irresponsables qui présentent ce sujet comme étant uniquement environnemental, “vert”, romantique, souvent ridiculisé par des intérêts économiques
En relisant l'histoire des prises de position des papes sur la marche du monde, on s'arrête forcément à un tournant en la matière : la visite du pape Paul VI à l'ONU en octobre 1965. Il prononce lors de son discours, cette phrase célèbre qui a fait vibrer les coeurs de ses contemporains : "jamais plus la guerre, jamais plus la guerre! C'est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l'humanité!"
Ces paroles ont-elles changé le destin du monde ? Impossible de le dire. Ce qui est certain c'est qu'elles ont donné du coeur à l'ouvrage aux militants de la paix et porté un imaginaire de paix. On pourrait aussi évoquer le rôle, jugé clé par certains observateurs, joué par Jean Paul II dans la fin de la guerre froide et notamment dans la chute du régime communiste en Pologne. Le pape François lui-même semble penser que la publication de son encyclique Laudato Si a pu contribuer au succès de la COP 21 incarné par l'Accord de Paris puisqu'il déclare, dans l'entretien qu'il a donné à la RAI : "Laudato si" a été publiée avant Paris. Et la réunion de Paris a été la plus belle de toutes."
Une prise de parole du pape au début du sommet semble prévue. Nul doute qu'elle sera fortement attendue par tous les observateurs.
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