C'est aujourd'hui une photo très émouvant, mais l’émotion n’est pas immédiate, car la photo n’est pas facile à comprendre. On ne le saisit pas en une fraction de seconde. C’est d’abord le manque de couleur qui nous marque. C’est une photo en couleur, mais il n’y a que du gris, du noir, du blanc, des nuances ternes qui rappellent celles les enterrements.
Et puis il y a les personnages, qu’on ne distingue pas bien. Deux femmes s’enlacent, mais un masque cache la moitié du visage de la première, il a dérapé sur ses yeux. Et la seconde est de dos. Une troisième femme est à côté, avec une blouse de protection. On ne les voit pas bien, aucune des trois, et pourtant on devine leur tristesse. Celle contenue de cette troisième femme, tête penchée, qui pose sa main sur le dos de la plus âgée, dans un geste de compassion. Et celle terrible des femmes qui s’enlacent. Car ça y’est on a compris ce qui rendait la scène difficile à saisir : c’est la présence d’une paroi en plastique qui sépare les deux femmes, cette paroi en plastique qui se glisse au milieu de leur étreinte, et qui rend tout véritable contact charnel impossible.
Ces femmes sont sûrement dans un milieu hospitalier. La tenue de protection : charlotte sur les cheveux, blouse, gants en plastique et masque nous y font penser. Ce câlin entre les deux femmes prouve qu’elles se connaissent intimement, et s’aiment tendrement. Vu leur différence d’âge, on imagine une fille avec sa mère ou sa grand-mère. Les masques nous confirment que c’est sûrement pour respecter les gestes barrières, signifiés ici d’une façon presque littérale, qu’une bâche les sépare. Une façon drastique de lutter contre toute contamination, d’empêcher la propagation du virus.
Nous sommes dans une maison de retraite à Sao Paulo, au Brésil. Cette dame est âgée de 85 ans et c’est sa fille qu’elle serre dans les bras. Mais la force de cette image, c’est qu’au fond, elle n’a pas de lieu, pas de géographie. Cette scène pourrait se dérouler n’importe où. Et elle nous concerne tous. Ce geste filial, entravé par le plastique, cela résume notre vie à chacun et à chacune. D’aillleurs, elle est tellement émouvante, cette photo, que 12400 garçons et filles de 3ème lui ont décerné le prix "Regard des jeunes de 15 ans" dans le cadre du prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre. Ils devaient choisir parmi une sélection de photos d’actualité, des images de sport, de la révolte des Noirs américains, des feux en Australie, et c’est celle là qu’ils ont choisie.
Ils étaient émus. Et le photographe, Nelson Almeida leur a répondu : "Je suis heureux que cet instant ait touché autant d’élèves. Cette image évoque tant de choses pour moi : amour, protection, respect et solitude qui sont des sentiments auxquels nous sommes encore plus sensibles en ces temps de pandémie". Ce sont des mots justes. Le regard du photographe nous aide parfois à revenir à l’essentiel.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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