Les livres d’Erri de Luca sont toujours une surprise : tantôt conte ou récit, tantôt essai ou roman, on y trouve tout ce qui fait l’existence de l’écrivain aux mille vies, tour à tour ouvrier, humanitaire, révolutionnaire, alpiniste, écrivain… Ces vies diverses, elles alimentent ce nouveau livre : un soir, le fils qu’Erri de Luca n’a pas eu surgit dans sa maison, et le dialogue commence… "Ce soir, tu écoutes tandis que je te parle. D’autres fois, je parle à une assiette, dans mon verre, au mur…". Et c’est toute l’existence de l’auteur qui est passée en revue, avec ce qu’il faut de pudeur, de mystère et de poésie. Erri de Luca parle d’engagement militant, de montagne, de travail, d’écriture aussi : "J’ai eu les mots. Sans eux, je me cogne contre les murs". L’écrivain napolitain est un raconteur d’histoires qui lit la bible en hébreu tous les matins, "après le premier café alors qu’il fait encore nuit".
Une sorte de bilan, en forme d’héritage, sous la plume d’un bel écrivain…
Plutôt un exercice d’autodérision jubilatoire, car tout cela n’impressionne guère le filston imaginaire : comme toute descendance qui se respecte, il asticote son paternel : "Tu es un écrivain qui fait tourner le manège pour y faire monter l’enfant qui est en chaque lecteur". L’écrivain est-il jamais vraiment compris ? Les actes de notre vie peuvent-ils être saisis par ceux qui nous suivent ? "A Sarajevo, si on avait faim, on allait écouter les poètes la nuit à la lumière des bougies", confie Erri de Luca, qui a choisi ses guerres et ses combats depuis sa prime jeunesse.
Il fallait ce fils imaginaire pour revenir sur toutes ces années, l’auteur n’étant guère préoccupé de sa trace : "Ce qui m’importe c’est la page qui me tient éveillé pendant que je l’écris, non pas celles déjà écrites, jamais plus relues". Sauf par les dizaines de milliers de lecteurs qui se régalent de cette écriture dense, serrée, habitée.
Est-ce aussi un livre sur la paternité ?
En effet, on a l’impression de voir Erri de Luca avec son Pinocchio, lui expliquant la vie, ses surprises, ses épreuves aussi. Il y a comme une urgence à transmettre, à raconter : "Je concentre mes histoires pêle-mêle avant que tu disparaisse", dit-il encore à ce fils fantomatique, sans lui donner de leçons puisque "face à la réalité, je reste un apprenti, confie-t-il encore. Je reste un inexpérimenté chronique, même si je suis doué pour certaines choses". Comme pour raconter des histoires… Et "tant que l’espèce humaine existera, elle continuera à se faire raconter des histoires". Il ne faut pas rater celles que raconte Erri de Luca.
C’est « Le tour de l’oie », d’Erri de Luca, fidèlement traduit par Danièle Valin, publié chez Gallimard.
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