Une autre économie est-elle possible ? Quel futur pour les entreprises face aux défis climatiques, économique et sociaux ? Ces questions seront posées ce week-end du 9 et 10 mars à Strasbourg par le Mouvement Chrétiens des cadres et des dirigeants.
On en parle avec l’un des intervenants, Jacques Thépot, spécialiste en économie et en gestion d'entreprise, professeur émérite à l’Université de Strasbourg.
RCF Alsace : Vous allez notamment parler du thème "Une économie de marché est elle compatible avec le bien commun" ? Avant de rentrer dans le dans les détails, qu'est ce que l'économie de marché et qu'est ce que le bien commun ?
Jacques Thépot : L'économie de marché, c'est facile à comprendre. Aujourd'hui, ça l'était moins il y a 20 ans parce que nous avons des exemples concrets d'économie de marché, notamment par exemple "Le Bon Coin", tout le monde sait comment ça fonctionne. Il y a des offreurs et des demandeurs qui se présentent sur le site et qui vont se mettre d'accord sur un prix et un article. Et bien évidemment, on peut imaginer que l'économie de marché, c'est le bon coin démultiplié pour toutes les activités possibles. Ce qu'on sait en revanche, et assez vite, au plan théorique et même au plan pratique, c'est qu'un marché a des défauts.
Autrement dit, la première chose qu'on voit, c'est les failles du système. Parce que sinon, on a l'impression qu'on va démultiplier les offres et les demandes et que les offreurs et les demandeurs se rencontreront à un bout à l'autre de la planète et que tout sera très bien.
En réalité, il y a trois défauts. Le premier défaut, c'est qu'on ne peut pas exclure des phénomènes de domination et d'inégalité. Le deuxième défaut, c'est qu'il y a des problèmes d'externalités et de pollution. Et le troisième défaut, c'est que ce système ne permet pas de gérer les biens publics. En particulier, vous ne gérez pas avec le marché le code de la route. Si vous êtes sur la route, vous n'allez pas négocier, marchander votre priorité au rond point. Donc bien évidemment, on est dans une société dans laquelle les deux systèmes vont cohabiter, un système de marché. Un autre système qu'on peut appeler un système de gouvernement ou un système administratif.
RCF Alsace : Et donc c'est ça qu'on appelle le bien commun : c'est quelque chose qui appartient plus à la collectivité qu'à l'individu ?
Jacques Thépot : Exactement. Le bien commun, c'est tous les biens qui appartiennent à la collectivité et en plus tous les instruments qu'on met en place pour corriger les effets néfastes du marché. Autrement dit, le bien commun, il s'intéresse aux inégalités, il s'intéresse aux externalités et il s'intéresse aussi au bien public, au bien commun au sens strict du terme.
RCF Alsace : Alors quand on parle d'économie de marché, souvent un mot qui revient aussi, c'est le capitalisme. Pourquoi est ce qu'on oppose justement économie de marché, capitalisme et bien commun? Est ce que vous allez justement un peu tenter de réconcilier ces deux mondes?
Jacques Thépot : Alors je ne parlerai pas du capitalisme parce que c'est un autre sujet, mais je dirais que mon fil rouge dans mon intervention, c'est de dire qu'on a en fait le marché ou les marchés d'un côté et de l'autre un autre système qui est le système du gouvernement de l'État. Ces deux systèmes sont les deux arcs boutants de notre société et que l'économie de marché se construit comme l'adéquation de ces deux, de ces deux mécanismes. Alors, par exemple, l'économie de marché, elle a besoin d'institutions pour garantir les droits de propriété, elle a besoin d'institutions pour garantir la sécurité et aussi d'institutions ou de plateformes pour que les offreurs et les demandeurs se rencontrent. Et ça, ce n'est pas le marché qui le donne. C'est donné par l'extérieur, par la société, à travers des institutions. Et puis en deuxième lieu, il y a un deuxième niveau d'institutions qui sont celles qui sont là pour corriger les effets néfastes de l'économie de marché, c'est à dire en fait, en gros, ça va être l'imposition, les taxes, les injonctions, les règlements, tout ce qui est qui permet au marché d'être encadré et d'aller vers le bien commun.
RCF Alsace : Justement, derrière ce terme de bien commun, on peut souvent entendre le côté un peu plus participatif, collectif des autres modes de gouvernance d'entreprise qui ont un peu le vent en poupe en ce moment dans des starts-up, etc. Est-ce que le bien commun est mieux vu que l'économie de marché aujourd'hui? Et que est ce que l'économie de marché ne pâtit pas un peu d'une mauvaise réputation?
Jacques Thépot : Une très mauvaise réputation, y compris dans l'Église d'ailleurs. On a un peu mauvaise conscience, non pas de défendre, mais d'imaginer que c'est notre notre environnement à nous et qu'on ne peut pas faire autrement que vivre là-dedans. Maintenant, on peut imaginer des formes d'organisation, de gouvernance qui soient plus participatives. On pense à la responsabilité sociale des entreprises. Ça, c'est un autre sujet. C'est comment dans l'entreprise organiser les choses pour qu'il y ait une co-construction à l'intérieur de l'entreprise. Ça, c'est un autre débat.
Moi, ce qui m'intéresse, c'est les marchés et surtout les problèmes liés au réchauffement climatique qui sont des problèmes dans lesquels il est nécessaire d'avoir une régulation globale au niveau au niveau mondial. Et donc là on est en face d'un dilemme parce que l'économie de marché, chacun fait ce qu'il veut. En revanche, lorsqu'il s'agit du réchauffement climatique, on voit bien que les émissions de gaz à effet de serre, tout le monde le fait et que chacun peut en souffrir. Tout le monde peut en souffrir, mais qu'il faut un mécanisme pour faire en sorte que globalement, on réduise ses émissions. Et ça, c'est un problème d'autorité et de politique.
Donc l'économie de marché, elle est adossée à un système institutionnel qui évolue, dans lequel on va retrouver la COP 21, Laudato si. Des juridictions qu'on peut imaginer et que c'est un peu dans ce face à face, dans ce jeu de miroir entre les deux que notre destin se noue.
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