A cette occasion, je voudrais éclairer quelques recoins obscurs du paysage, ou plutôt détendre quelques nœuds dans l’écheveau de nos compréhensions. Oui, un des malheurs de l’Islam mondial est que le salafisme donne aujourd’hui le « la » de l’interprétation juste de la tradition musulmane. Pour des raisons largement politiques, les salafistes jugent que les musulmans qui n’adhèrent pas à leur vision traditionaliste, intégriste et fondamentaliste sont infidèles à leur religion, mécréants et traitres.
L’argument théologique du salafisme musulman, et de tous les salafismes, est d’une grande pauvreté intellectuelle : « avant, c’était mieux » ! Mais il peut être d’une redoutable efficacité psychologique. Le mythe du paradis perdu, c’est creux, mais ça peut marcher, quand la vie est difficile. Au début du 21ème siècle, c’est l’aridité du présent et la peur du futur qui font du paradis perdu un refuge attractif.
Si c’était « mieux avant », on doit demander « Avant » quoi ? On s’enfonce alors de plus en plus loin dans les sables mouvants du passé : « avant » la colonisation et l’effondrement de l’Empire Ottoman au 20ème siècle ? « Avant » la rencontre de la philosophie grecque et l’élan mystique des Soufis au 9ème siècle ? « Avant » la mort des premiers disciples du Prophète au 7ème siècle ?
Comme si le temps qui passe affaiblissait la force de la révélation éternelle ! Je crois au contraire que la grandeur d’une tradition est de penser que la fidélité est créatrice et n’aura jamais épuisé la richesse de la Parole des origines. Toujours et partout, quand le passé devient le modèle, il emprisonne l’esprit. L’humanité se fragmente en groupes indifférents, concurrents ou haineux. Le traditionalisme est par essence un communautarisme. Malheur à nous si les catholiques, eux aussi, devenaient communautaristes.
A cet égard, le mot « communauté musulmane », « juive » ou « chrétienne », dans la bouche des politiques et dans la nôtre, est un mauvais service rendu aux religions. Judaïsme, Christianisme et Islam sont des religions de l’ « Appel ». Jésus choisit des disciples tous différents, qui n’ont en commun que leur « appel ». C’est bien ce que signifie le nom « Église ». Nous ne sommes pas une Communauté, mais une Assemblée !
Juifs, Chrétiens et Musulmans, nous sommes appelés par Dieu en faveur du monde. Tout ce que les chrétiens pourront faire pour que leurs frères musulmans de France résistent à l’attraction théologique du salafisme s’enracine dans l’Évangile. C’est en mesurant les défis qui sont les leurs, ici et dans le monde, que nous contribuerons à vaincre leur peur de l’avenir – et la nôtre. Nous comprendrons alors qui nous sommes, et qu’elle est notre responsabilité pour eux.
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