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RCF Les expérimentations médicales au camp de concentration du Struthof
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Les expérimentations médicales au camp de concentration du Struthof

Un article rédigé par E.W. - RCF Alsace, le 12 juin 2024  -  Modifié le 19 juin 2024
Les Trois Questions · RCF Alsace Les expérimentations médicales au camp de concentration du Struthof

Quel lien existe-t-il entre le camp de concentration du Struthof et la Reichsuniversität Straßburg, soit l'Université de Strasbourg sous occupation nazie? C'est le thème principal du livre La médecine nazie contre l'humanité, publié aux éditions Tallandier. Christian Bonah a coécrit ce livre. Il est historien des sciences et professeur à l'Université de Strasbourg.

 

© Tallandier © Tallandier

RCF Alsace: Il peut sembler difficile de tisser des liens entre un camp de concentration et une université. Comment peut-on le faire et quel travail de recherche cela demande?

Christian Bonah: Les deux institutions sont à l'extrême opposé d'une certaine manière - si on peut appeler un camp de concentration une institution. L’une est au centre ville et sert de vitrine pour une science nazie, l'autre est complètement à l'extérieur, sur une montagne perdue, et sert à un travail forcé et quelque peu caché. Et pourtant, il y a beaucoup de liens entre les deux. Dans un premier temps, le camp a envoyé un certain nombre de détenus pour se faire soigner à l'hôpital civil qui fait partie de l'université à cette époque là. Deuxième lien qui est fondamental: le camp va être investi par des universitaires, par des professeurs de médecine. Ce ne sont pas des médecins SS, mais l'université, la faculté de médecine, l'hôpital civil allemand qui investit le camp sous forme d'une station expérimentale à une finalité très précise, faire de la recherche biomédicale dans ce lieu en bénéficiant de ce que peut offrir un camp scientifique. C'est horrible de dire ça comme ça. Mais c’est une occasion qu’ils ont saisie. 

RCF Alsace: Dans le livre, vous expliquez que dans le contexte de guerre totale, les expériences menées dans les camps allaient de soi. Que se cache-t-il derrière cette "logique" dans les expérimentations effectuées sur les détenus?

Christian Bonah: Oui, il y a une logique, et c'est même terriblement logique. Je pense que ça fait partie des messages clés de ce livre et des choses difficiles à admettre, difficiles à comprendre et qui devraient continuer à nous questionner aujourd'hui. La chambre à gaz du Struthof est un dispositif scientifique avant tout. Elle devient une chambre de mise à mort en août 1943 seulement. La première utilisation par Otto Bickenbach de cette chambre à gaz, c'est une chambre où on enregistre des taux de gaz de combat, et les lésions que provoquent ces gaz sur les organes des détenus enfermés dans cette chambre après exposition. Et on monte l'exposition au fur et à mesure de manière à pouvoir tracer une courbe, et savoir quand cela devient dangereux, quand cela s’aggrave et quand cela devient mortel. C'est donc, dans un premier temps, un dispositif médical.

RCF Alsace:  Quelles leçons peut-on tirer ou doit-on tirer aujourd'hui de ces "effroyables" expériences scientifiques ? 

Christian Bonah: C'est le titre sur lequel on est parti, avec cette question : quels sont les liens entre un camp perdu et une université au centre de la ville ? Je crois que cette histoire montre très clairement le positionnement qui a été adopté pendant un temps certain, de dire qu’on ne savait pas, que personne ne savait, qu’on ne pouvait pas savoir. Sauf qu’il y avait des coups de fil toutes les semaines entre le camp et la faculté de médecine. On ne peut pas dire que personne ne savait, ça ne tient pas, mais ça ouvre plein d'interrogations qui sont encore actuelles. Il y a eu une réception: les procès, les publications, il y a beaucoup de réception, mais c'est une réception qui se focalise essentiellement sur les bourreaux, sur les crimes. La place des victimes est inexistante dans cette enquête. C'est ça que l'histoire a commencé à rouvrir à partir des années 1990-2000, c'est-à-dire de faire un chemin inverse. Ces hommes et femmes ont été réduits d'un nom, d'une personne, d'une vie à un matricule, voire la mort. Et l'histoire cherche aujourd'hui à retourner cette objectivation en remettant un nom sur un matricule, à redonner une existence humaine à ces personnes dans la mémoire qu'on peut en avoir aujourd'hui.

RCF Alsace: Ce devoir de mémoire des victimes, il est important. Est-ce qui l'est particulièrement dans un monde où les pensées peuvent avoir tendance à se radicaliser ? C’est peut être aussi un moyen d'éviter de refaire les mêmes erreurs ?

Christian Bonah: Je n'aime pas trop l'expression de devoir de mémoire parce que parce que je pense que c'est difficile, et que cela donne une connotation un peu moraliste. J'aime bien parler d'un devoir de transmission. Je pense que le devoir, c'est de ne pas oublier, de garder une interrogation ouverte et donc a fortiori sur ce qui se passe dans le monde aujourd'hui. En quoi le monde d'aujourd'hui, en quoi l'antisémitisme aujourd'hui, en quoi la volonté d'exclure des marginaux, des étrangers, etc. En quoi cela serait différent de ce qui s'est opéré dans ces années-là? Je ne dis pas que c'est pareil, mais la question peut se poser et c'est intéressant d'y réfléchir.

Le livre La médecine nazie contre l’humanité est toujours disponible aux éditions Tallandier.

 


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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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