Plus de 6.000 greffes d'organes avaient été réalisées en 2017. Un record inégalé depuis, à cause de plusieurs facteurs, et notamment de l'épidémie de Covid-19.
En 2017, plus de 6.000 greffes d’organes avaient été réalisées. Environ 5.700 l’année suivante, et 5.900 en 2019 – dont, à chaque fois, plus de la moitié concernant les reins. Des chiffres presque dérisoires par rapport aux besoins, puisqu’entre 24 et 25.000 patients sont sur liste d’attente. "Lorsque j’avais 27 ans, mes reins ont complètement cessé de fonctionner, témoigne Laurent di Meglio, né avec une malformation rénale. J’ai patienté dix ans avant que le miracle ne se produise, et que je sois greffé. Mais en 2018, mon greffon rénal a dysfonctionné. Depuis trois ans, je suis donc, de nouveau, dialysé. C’est un traitement qui dure plusieurs heures, trois fois par semaine. C’est assez fatiguant. Donc, c’est difficile de pouvoir mener une vie professionnelle et familiale normale."
Laurent di Meglio fait partie d’une liste qui augmente, chaque année, plus vite que le nombre de greffes réalisées. D’autant qu’un immense retard s’est accumulé à cause du Covid-19 : en 2020, seulement 4.417 greffes ont été réalisées, soit une baisse de 25% par rapport à l’année précédente. "Les services de réanimation étaient débordés de patients infectés, rappelle le docteur Laurent Durin, médecin au sein de l’Agence de biomédecine, qui encadre le prélèvement et la greffe d’organes. Certains patients qui auraient pu être identifiés comme donneurs potentiels ne l’ont pas été, soit parce qu’ils ne se sont pas rendus à l’hôpital, soit car ils n’ont pas pu être admis dans les services de réanimation pour être donneurs. À cela s’est ajouté le fait qu’au début de l’épidémie, on ne savait pas quel serait l’impact de ce virus chez des patients récemment greffés. Donc, à partir de mi-mars 2020 et jusqu’à fin mai ou mi-juin, une grande partie des greffes rénales ont été suspendues en France."
L’épidémie a aussi engendré des conséquences à plus long terme, d’après le professeur Emmanuel Morelon : "La crise a perturbé les soignants, qui quittent le système hospitalier, observe le chef du service de transplantation, néphrologie et immunologie clinique aux Hospices civils de Lyon. On a des difficultés pour avoir des infirmiers de bloc opératoire, ce qui impact l’activité des blocs, et donc l’activité des greffes. On doit annuler des interventions, ou en reporter, puisqu’on n’a pas accès aux blocs. On est un peu en compétition entre les patients qui attendent d’être opérés d’un cancer, et ceux qui attendent une greffe." Pour l’instant, en 2021, le nombre de greffes n’a donc, pas encore, retrouvé son niveau habituel : à la fin septembre, 3.924 interventions étaient enregistrées.
Plus inquiétant encore : même en dehors du Covid-19, le nombre de greffes stagne, ces dernières années. Pour les programmer, il faut évidemment disposer d'organes ou de tissus. En France, il y a plusieurs façons d’en obtenir : soit c’est un don d’une personne vivante ; soit on les prélève chez un patient après un arrêt cardiaque inopiné ou bien après un arrêt cardiaque provoqué par la fin des soins thérapeutiques – c’est ce qu’on appelle le prélèvement Maastricht 3 ; soit on les prélève chez un patient en état de mort encéphalique. C’est avec cette dernière option qu’on obtient jusqu’à présent le plus d’organes en France… Mais sans doute plus pour très longtemps, d’après le docteur Durin : "On sait qu’on arrive à une phase de plateau puisque les maladies qui conduisent à l’état de mort cérébrale sont de mieux en mieux prises en charge, note le médecin de l’Agence de biomédecine. Par exemple, la traumatologie routière a fortement diminué. Les facteurs de risque qui conduisent aux accidents vasculaires cérébraux sont aussi mieux anticipés."
Des améliorations sont tout de même envisageables, notamment en ce qui concerne la communication auprès des proches des patients potentiellement donneurs. "On recherche la non-opposition du donneur potentiel puisqu’en France, nous sommes tous donneurs présumés, sauf si on dit le contraire, explique Clémentine Resta, infirmière au sein de la Coordination des prélèvements d’organes et de tissus, aux Hospices civils de Lyon. Si la personne n’a rien dit de son vivant, on fait un entretien avec les proches du patient. Mais souvent, les gens n’en parlent pas entre eux, les proches ont du mal à se positionner. Et cette opposition des familles fait que, parfois, on ne va pas jusqu’au prélèvement." En France, le taux de refus de dons d’organes a augmenté, de près de 30% en 2019 à 33% actuellement.
"Il faut soutenir les équipes de coordination des prélèvements pour qu’elles aient les moyens de se former, propose Magali Léo, responsable plaidoyer de l’association de patients Renaloo. C’est d’ailleurs en investissant largement sur ces besoins en formation que l’Espagne est devenue championne du monde de la greffe d’organes. Et puis, il faut développer la greffe à partir de donneurs vivants car il y a des marges de progression importantes : au Royaume-Uni, elle représente 30% des greffes rénales, contre 14% en France." Des pistes de réflexion qui vont être étudiées dans le cadre de l’élaboration du plan Greffe 4 pour 2022-2026 – un plan ministériel élaboré tous les 4 ans pour améliorer le don, le prélèvement et la greffe d’organes en France.
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