Le collectif de soutien aux victimes de pesticides de l'Ouest compte 500 adhérents, majoritairement en Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire, et entend bien poursuivre ses démarches pour faire interdire notamment le glyphosate. Le collectif défend plus de 250 dossiers de malades, des paysans, des salariés du monde agricole ou des riverains qui ont développé des pathologies à cause des pesticides. Leucémie, maladie de Parkinson, cancer de la gorge, de la prostate. Le témoignage de Michel Besnard, président du collectif, et Christian Jouault, ancien agriculteur installé à Nouvoitou, aujourd’hui atteint d’un cancer de la prostate et d’une leucémie.
D’aussi loin qu’il se souvienne, Christian Jouault a toujours été exposé aux pesticides. “Quand j’étais gamin, je servais de jalon dans les champs de blé, se rappelle l’ancien agriculteur installé à Nouvoitou, en Ille-et-Vilaine. A chaque fois qu’on pulvérisait, je traversais la partie qui venait d’être traitée pour montrer l’endroit où il fallait que les rangs passent.” Dès l’âge de 14 ans, il a pulvérisé, dans les champs, sur un tracteur. “A l’époque on en utilisait des quantités importantes, et sans beaucoup de précautions”, se rappelle-t-il.
Son récit est celui de l’arrivée de produits miraculeux. La promesse d’un maïs propre, sans avoir besoin de perdre du temps à arracher les adventices, les fameuses mauvaises herbes. “On semait en avril, on ne mettait que de l’atrazine [interdit en octobre 2001 en raison de la pollution des eaux et sa toxicité pour le milieu aquatique NDLR ] puisqu’il n’y avait pas encore de résistance à l’époque, et cinq mois après, on avait un maïs qui faisait deux mètres cinquante de haut, que l’on n’avait plus qu’à ensiler.”
Plus de productivité, plus de rendements, les agriculteurs adoptent vite ces produits “sans la moindre idée des risques”, soupire Michel Besnard. Un récit comme celui de Christian, le collectif des victimes de pesticides de l’Ouest, fondé en 2015, en reçoit des centaines. “Les paysans travaillaient en manche de chemise et en short. On croyait que les pesticides nous rendaient malades si on en buvait mais on ne pensait pas que les pesticides traversaient la peau sans aucune difficulté et on a respiré ces vapeurs de manière incessante.” Le collectif a déjà accompagné 250 dossiers devant les tribunaux pour faire reconnaître une maladie professionnelle en lien avec les pesticides.
"Nous on est tous fils de paysans, confie Michel Besnard. On parle peu de ce qui se passe au sein de la famille. On cache, on n’en parle pas aux voisins, très peu entre nous et au niveau de la société. Au niveau des organismes sociaux non plus. La mutualité sociale agricole n'informe pas les gens concernant ce droit. "
“L’opinion commence à se retourner dans les années 1990-2000”, analyse Michel Besnard. En 1996, Christian Jouault passe son exploitation en biologique, poussé par sa femme. Mais le mal était déjà présent. Aujourd’hui, c’est depuis sa chambre d’hôpital, au CHU de Pontchaillou à Rennes, où il suit une chimiothérapie au sein du service hématologie, que Christian Jouault témoigne.
Atteint d’un cancer de la prostate en 2015, il passe devant les tribunaux pour finalement obtenir la reconnaissance en 2020 et une indemnité en 2022. Depuis décembre 2021 ce cancer est officiellement reconnu comme maladie professionnelle, mais pas à l’époque de Christian, pour qui ça a été un combat. “Sans le soutien du collectif, j’aurais laissé tomber, c’est sûr." Il souffre aujourd’hui d’une leucémie aigüe lymphoblastique et myéloblastique qui est portée, elle, au registre des maladies professionnelles. Il a récemment fait une demande de reconnaissance, et en attend le résultat.
On ne peut plus dire que ça n’existe pas, puisque la MSA reconnait l’existence de ces maladies.
Désormais, il y a certaines scènes que Chritian Jouault ne supporte plus, comme cette route surnommée la route du cancer ou cet agriculteur, dans son tracteur “avec une cabine moderne, un super masque avec deux cartouches à charbon actif, et qui traitait à côté d'un supermarché, et je voyais une espèce d'aérosol qui flottait sur le parking, et les familles et tous les braves gens qui allaient faire leurs courses qui passaient dedans. C’est quand même incroyable, s'emporte-t-il. Alors que l'on sait que c’est dangereux ! "
“Le collectif a accompagné jusqu'à présent à peu près 150 personnes jusqu'à la reconnaissance, précise Michel Besnard. Presque la moitié sont des gens qui ont Parkinson, mais il y a aussi la démence à corps de Léwy, différentes formes de dégénérescence." Parmi les combats du collectif, la reconnaissance en maladie professionnelle, le soutien aux victimes, la lutte pour augmenter les distances d’épandage et surtout, l’interdiction totale de tous les pesticides. "Parce que les riverains ne sont pas protégés non plus, eux aussi sont victimes. Il y a des victimes partout dans les campagnes”, s’alarme Christian Jouault.
Face à la colère des agriculteurs, le gouvernement avait été forcé de suspendre le 1er février dernier le plan Ecophyto. Lancé en 2008, ce plan n'a pas rempli son objectif de réduire de 50% l'usage des pesticides de synthèse. Dans sa nouvelle version publiée le 6 mai dernier, l’objectif reste, mais calculé différemment et avec un volet sur les alternatives aux produits qui seront interdits. Un recul de plus après la prolongation, décidée au niveau européen, de l’utilisation du glyphosate , et des dérogations accordées pour les producteurs de betteraves français. "C’est tout bonnement insupportable", s’insurge Chrisitan Joualt.
Le mouvement social du début d’année ? ”Le problème a été détourné, considère Michel Besnard. Les manifestations ont démarré parce que les agriculteurs ne sont pas payés pour le juste prix de production de leurs produits. Le problème a été détourné politiquement contre les écologistes faisant de l'agriculture bio et l’arrêt des pesticides comme la cause des maux des agriculteurs. Ce n'est pas ça du tout la cause des mots des agriculteurs ! Le problème, c'est ce système qui ne rémunère pas ceux qui travaillent bien.”
Le collectif alerte également sur le coût économique des pesticides, en termes de dépenses de santé publique, ou de coût de dépollution des eaux. Ils organiseront à Rennes ce vendredi 7 juin une conférence sur le sujet. “On doit continuer le combat, plus que jamais”, insiste Chritian Jouault. Michel Besnard opine. C’est qu’ils se comprennent parfaitement, ces compagnons de route, qui échangent avec beaucoup de pudeur et d’amitié sur le mal qui les rongent et portent le souvenir de ceux qui ont déjà été emportés.
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