Ces grandes retenues d’eau qui viennent piocher dans les nappes phréatiques, soulèvent les polémiques depuis plusieurs années. Pour certains, elles sont indispensables pour l’avenir des cultures, pour d’autres elles posent des problèmes écologiques et de répartition de l’eau. Dans un contexte où l’eau se fait de plus en plus rare, les méga-bassines sont-elles la solution ?
Il y cinq mois, Sainte-Soline, cette commune presque inconnue de tous, faisait parler d’elle pour des affrontements inédits entre les opposants aux méga-bassines et les forces de l’ordre. Le 18 août, une nouvelle manifestation pacifique est lancée. Près de 700 militants à vélo, et une dizaine de tracteurs sont annoncés. L’occasion de revenir sur les enjeux autour de ces retenues d’eau qui divisent grandement.
Avant d’être objet de polémiques, les méga-bassines, aussi appelées retenues d’eau, sont créées pour réguler les prélèvements d’eau dans les nappes phréatiques. Florence Habets, hydro-climatologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, explique que "dans certaines régions, l’eau récupérée pour l’irrigation des cultures était faite en trop grande quantité sur la période estivale”. Afin de pallier cela, les méga-bassines ont été la solution trouvée. La quantité d’eau prélevée reste la même qu’en été, mais s'étale sur toute l'année.
Ces grandes structures en relief, souvent situées au cœur des champs, sont très imposantes par leur taille et leur hauteur. Remplies en quasi-totalité par les eaux récupérées dans les nappes phréatiques, ces retenues d’eau ont la particularité de n’être reliées à aucun cours d’eau.
Ces méga-bassines font polémique depuis quelque temps. Les raisons principales sont "un problème écologique" et "un problème d’accaparement de l’eau", explique Florence Habets. En élargissant les prélèvements sur l’ensemble de l’année, l’impact sur le milieu est supposé être réduit. Seulement, l’hydro-climatologue précise « tout dépend de la profondeur où l’eau est puisée. L’impact sur les rivières peut être important, si les nappes réduisent au point qu’elles ne suffisent plus pour soutenir les cours d’eau naturels en été ».
Ces retenues d'eau posent question notamment sur la répartition de cette ressource. « Les redistributions de ne sont pas toujours équitables » raconte Florence Habets. Certains agriculteurs revendiquent cette mauvaise répartition, et pour cause, une partie de l’eau prélevée profite aux grandes agricultures, comme celles de blé à destination des élevages intensifs bovins, au détriment de plus petits agriculteurs.
Un autre point souvent discuté est la question de l’évaporation des eaux, à la vue des fortes chaleurs qui touchent la planète. En France, la question des pertes de volumes d’eau par évaporation reste incertaine. Au CNRS, les recherches sont en cours, afin de compléter les dernières données. Dans un rapport publié en décembre 2020, l’Association Rivière Rhône Alpes Auvergne cite la FRAPNA pour expliquer les causes de l’évaporation « l’absence de courant favorise le réchauffement des eaux. Il en résulte un accroissement de l’évaporation ». Des estimations, antérieures à ce rapport, fournis par le CNRS, estiment une évaporation de deux à trois mm par jour pour les milieux tempérés, soit 2 700 m3 sur une période de 90j.
Des exemples concrets sont présents dans d’autres pays : « Il existe sans doute des moyens pour lutter contre cette évaporation, donc autant les connaître plutôt que de les nier. En Espagne, on estime que les pertes par évaporation de leur réservoir sont l’équivalent de l’alimentation en eau potable de la région, ce qui n’est pas si négligeable » complète-t-elle.
Si ces retenues d’eau ont pu être une solution durant plusieurs années, pour plusieurs organismes, comme Greenpeace, elles ne le sont plus. Les sécheresses de plus en plus importantes auront un impact trop important sur ces méga-bassines. « En 2022, on a eu une sécheresse d’une année entière. Avec le climat qui atteindrait 1.5 degrés de réchauffement, on pourrait avoir des sécheresses de l’ordre de trois ans, et même neuf ans de sécheresse consécutive à la fin du siècle ». Avec des prévisions comme celle-ci, l’eau a de fortes chances d’être compliquée à prélever et à conserver sans évaporation, ni dégradation de cette dernière.
Ces prévisions sont “fiables” selon la directrice de recherche du CNRS, et pour cause des exemples nous sont donnés dans d’autres pays à travers le monde. « La Californie a fait des stockages massifs qui n'ont pourtant pas suffi avec les sécheresses longues ». À l'avenir, il est nécessaire de réfléchir différemment nos usages de l'eau, conclut Florence Habets, « il faut modifier notre façon d’agir et notre trajectoire. On a tout intérêt à la préserver pour nous, et pour la biodiversité ».
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