En français, on parle de « poursuites bâillons » : ce sont des actions judiciaires qui visent à censurer des propos déplaisants. La pratique est née aux Etats-Unis, dans les années 1960-70[1]. Depuis, en France aussi, on sait instrumentaliser la justice pour faire taire la critique. Le journaliste Denis Robert, aux prises avec la société Clearstream, a été le premier à en faire les frais.
Aujourd’hui, c’est le groupe Bolloré qui multiplie les procès, chaque fois qu’un propos est susceptible d’écorner son image. Jugez-en plutôt : L’Obs, Le Point, Rue 89, Les Inrocks, Mediapart, Bastamag, Libération, Le Monde, France Inter, France Culture, France Info, France 2… chacun de ces médias –mais aussi des associations (Greenpeace, React, Sherpa) ont eu à subir les foudres judiciaires du groupe Bolloré. Leur crime ? Avoir enquêté sur les activités du groupe en Afrique - pour les uns, sur la situation des travailleurs dans les plantations, pour les autres, sur les conditions d’obtention d’un marché public…
Vincent Bolloré travaille régulièrement avec les dictateurs du Togo, du Cameroun ou du Congo-Brazzaville. Aurait-il fini par épouser leur conception de la liberté d’expression ? En France, il possède CNews, Direct 8, Canal +, I-télé… et il exerce un contrôle réel sur l’information qui émane de ces médias. Il contrôle aussi, avec Havas, une part de la manne publicitaire dont les médias sont très dépendants.
« Nous ne nous tairons pas ». C’est le cri qu’ont lancé, jeudi dernier, une cinquantaine de médias et d’associations pour dénoncer les poursuites-baillons. Je cite : « Les poursuites systématiques visent à faire pression, à fragiliser financièrement, à isoler tout journaliste qui mettrait en lumière les pratiques contestables de géants comme Bolloré. Objectif : les dissuader d’enquêter et les réduire au silence. »
Nous voulons affirmer ici notre solidarité avec les journalistes et les associations visés. Que Vincent Bolloré soit catholique pratiquant ou mécène à ses heures n’y change rien : la liberté d’expression ne saurait s’arrêter là où commencent les intérêts commerciaux de Bolloré.
[1] Cf. Anne-Marie Voisard, « Poursuites-bâillons : la liberté d’expression en procès », Revue Projet n° 353, été 2016.
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