Ce 11 février, l’Église célébrait la journée mondiale des personnes malades. Dans une socieÌteÌ aseptiseÌe qui fait de la santeÌ une obsession et qui a tendance aÌ eÌvacuer les effets deÌvastateurs d’une maladie grave ou chronique, car elle les vit comme un échec de sa puissance de réparation, mettre sur le devant de la scène les personnes malades, c’est avant tout se souvenir que l’expeÌrience de la maladie bouleverse tous les aspects d’une l’existence dans son identiteÌ intime et sociale. La maladie, c’est la perte de l’insouciance, de l’évidence, dans lesquelles nous rêvons de pouvoir vivre. « La maladie de compagnie », comme l’écrivait Claire Marin dans un petit livre saisissant Hors de moi (Allia, 2008). Une maladie qui tient compagnie, à son corps défendant, contre sa volonté et son désir, même après la guérison, car elle nous a changés.
Dans L’ombilic des Limbes, Antonin Artaud s’interrogeait ainsi : « Comment empeÌcher la vie de tomber hors de moi ? » interrogation qui traduit bien la violence d’une vie arracheÌe aÌ soi, avec son sentiment d’impuissance, la peur de ne plus jamais eÌtre soi-meÌme, l’impossibiliteÌ de se reconnaiÌtre dans sa propre vie. Dépossession, car la maladie suspend les projets et modifie les relations ; elle met à mal de tout ce qui nous tient aÌ cœur.
Alors de quoi s’agit-il ? Sinon restaurer l’autre en son unité, le soutenir afin qu’il puisse reprendre, autrement, la main sur sa vie, se la reÌapproprier par d’autres biais. Refuser d’être en morceaux, y compris parfois à l’encontre d’une médecine qui vous demande des nouvelles de votre cœur ou de votre foie, et non de vous-mêmes. Notre obligation morale, c’est ce rappel impérieux de « l’homme total », selon le mot du poète Henri Michaux, contre la logique du « morceau d’homme ».
Pour notre époque qui aime tant séquencer, qui se croit rassurer quand la science et la technique mettent à distance, isole ce qui va mal, ce qui fait mal, il est ainsi une obligation éthique, vitale, pour chacun : Envers et contre la maladie qui s’obstine à tout vouloir défaire, à nos représentations aussi qui voudraient nous couper en tranches, reconstruire une histoire et avec constance, rassembler, unifier, soutenir, chérir, vivre. Malades peut-être, mais vivants.
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