C’est une réunion aux allures de dernière chance. Le secrétaire d’Etat britannique en charge du Brexit David Frost est attendu à Paris ce jeudi pour rencontrer le secrétaire d’Etat français délégué aux affaires européennes Clément Beaune. Au cœur de cette rencontre : la question des licences accordées aux pêcheurs français par le Royaume-Uni. Les deux pays s’accrochent sur les modalités pour délivrer ce sésame depuis l’entrée en vigueur du Brexit.
Emmanuel Macron est allé jusqu’à prononcer des menaces de rétorsion. Seulement des menaces pour l’instant. En marge du sommet de la COP 26 à Glasgow, le président français a affirmé que ce n’était pas pendant qu’on négociait que l’on appliquait des sanctions. L’espoir de trouver une solution est donc toujours là. Le premier ministre britannique Boris Johnson a de son côté expliqué que sa position n’avait pas changé mais qu’il travaille très étroitement avec ses partenaires français.
"La France avec l’Europe ont décidé de montrer les crocs. Mais tant qu’il y a des négociations, on évite de s’envoyer dans la figure des mesures de rétorsion. Je ne sais pas si ça dégrade durablement nos relations avec le Royaume-Uni mais ça nous met dans une situation de négociation perpétuelle", commente Pierre Karleskind, eurodéputé et président de la commission de la pêche au parlement européen.
Continuer à négocier est essentiel pour les pêcheurs. Leur situation devient particulièrement difficile depuis des mois. En cause : l’accord sur le Brexit, conclu à la fin de l’année 2020 entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Il prévoit que les pêcheurs européens et donc français puissent continuer à pêcher dans certaines eaux britanniques s’ils prouvent qu’ils le faisaient auparavant.
C’est le cas notamment pour la zone des 6 à 12 milles nautiques, une bande au large des côtes britanniques. Les pêcheurs doivent demander une nouvelle licence au Royaume-Uni. "Cela concerne à peu près 80 unités qui, depuis le 1er janvier, n’ont pas pu exercer dans cette zone, avec des conséquences importantes en terme de chiffre d’affaires, des diminutions de l’ordre de 30 à 40 % [par rapport à ceux qui ont obtenu les licences, NDLR]", détaille Jean-Luc Hall, directeur général du comité national des pêches maritimes et des élevages marins.
Les îles anglo-normandes, Jersey et Guernesey, qui se trouvent au large du département de la Manche, ont un régime particulier. Chaque bateau doit justifier d’au moins 11 jours de pêche dans cette zone entre le 1er février 2017 et le 30 janvier 2020 pour pouvoir y travailler à nouveau.
Mais la France et le Royaume-Uni ne sont pas d’accord sur les justificatifs à fournir. Et cette impasse met les pêcheurs en grande difficulté. "Le dispositif est très anxiogène, on va de report en report. Et aujourd’hui on a une partie de ces unités qui n’ont aucune certitude", explique Jean-Luc Hall.
Beaucoup d’embarcations restent à quai et certaines plus que d’autres. Cette situation pénalise les petits bateaux pour les îles de Jersey et Guernesey. En dessous de 12 mètres de longueur, ils ne sont pas obligés d’être équipés de système de géolocalisation. Or c’est grâce à ce traçage que les pêcheurs peuvent prouver qu’ils ont travaillé au moins 11 jours dans la zone. "Dans la réglementation communautaire des pêches, il y a le vessel monitoring system (VMS) qui est obligatoire sur les navires de plus de 12 mètres. Les Britanniques connaissent la règle, donc ils sont plutôt mal venus de nous réclamer ce type de preuve", regrette le directeur général du comité national des pêches maritimes et des élevages marins.
Cette situation créée de vraies difficultés. Un chalutier écossais était bloqué dans le port du Havre depuis une semaine pour avoir pêché plus de deux tonnes de coquilles Saint-Jacques sans licence. La cour d’appel de Rouen l’a finalement autorisé à partir mercredi sans payer de caution. L’Etat demandait le versement de 150.000 euros de caution.
Il y a des enjeux de souveraineté. Dans la posture du Royaume-Uni, il était important de reprendre le contrôle de ses eaux territoriales. "Comme les eaux sont très poissonneuses, ça offrait des perspectives d'augmentation d’activité pour les pêcheurs britanniques", analyse Catherine Mathieu, économiste à l’OFCE, spécialiste du Royaume-Uni.
C’est aussi un enjeu économique très important pour la France. "Du côté de l’Union européenne, on craignait beaucoup qu’il n’y ait plus la possibilité pour les pêcheurs d’accéder aux zones britanniques. Pour une partie des pêcheurs français notamment dans les Hauts-de-France, l’accès aux zones de pêches britanniques ça peut représenter 80 % des captures de pêche", insiste Catherine Mathieu.
Il faut aussi comprendre que la majorité de ce que pêchent les britanniques est destiné au marché européen. Le Royaume-Uni n’est pas un très gros consommateur de poissons, à part leur légendaire fish and chips. La France a donc menacé par exemple de les empêcher de débarquer leurs cargaisons dans les ports français par exemple, ou de renforcer les contrôles douaniers. Pas de mise en application pour l’heure. "Elles auraient été disproportionnées par rapport à la réalité du problème actuel. Il est prévu dans le traité commercial signé par le Royaume-Uni et l’Union européenne que si une des deux parties n’en respecte pas les termes, l’autre partie peut prendre des mesures de rétorsion. Il faut que ça corresponde à une réponse proportionnée", affirme Catherine Mathieu.
Deux réunions sont donc prévues pour sortir de cette impasse. Une à Paris jeudi et une à Bruxelles, à la commission européenne vendredi.
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