Clos en juillet dernier par un rapport alarmant, les Etats généraux de la justice, lancés fin 2021 par Eric Dupont-Moretti, ont esquissé les dysfonctionnements chroniques du troisième pouvoir. Avocats comme justiciables pâtissent d'un manque de moyens et de délais interminables. Mal connus, souvent perçus comme inflexibles, les magistrats aussi ont leurs maux à dire. Professionnels, mais humains, surtout.
"On peut voir une similitude aujourd'hui entre les robes noires des magistrats et les blouses blanches de l'hôpital, c'est le même constat d'une institution qui ne fonctionne pas", soupire Dominique Verdeilhan, trente ans de chronique judiciaire sur France 2 au compteur. Le journaliste a vu se succéder une bonne quinzaine de gardes des Sceaux. Une constante place Vendôme : beaucoup d'agitation, peu de résultats. "Chacun y est allé de sa réforme, soit en réaction à un fait divers, soit pour améliorer la justice. Eric Dupont-Moretti (ministre depuis 2020, ndlr) s'est battu, comme Nicole Belloubet avant lui, pour le budget de la justice".
Dominique Verdeilhan a longuement rencontré plus de quatre-vingts magistrats, entretiens dont il a tiré un livre, Les Magistrats sur le divan (2017)*. "Quelque chose est revenue de façon constante dans toutes mes rencontres, un mal vécu de leur part, c'est la solitude", appuie-t-il. "C'est-à-dire que le juge prend la décision tout seul de vous mettre en examen, de vous mettre en prison, de vous retirer l'enfant pour le placer dans un foyer", note-t-il. "C'est un peu moins du procureur, parce qu'il travaille en équipe".
Quelque chose est revenue de façon constante dans toutes mes rencontres, un mal vécu de leur part, c'est la solitude
"C'est une décision qu'ils prennent tout seuls", insiste-t-il, relevant un besoin criant - et rarement satisfait - de s'épancher. "Avec qui parler de la décision que je dois prendre ? Avec qui parler de ce que j'ai vu aujourd'hui ?" Il cite l'exemple de "cette femme, juge aux affaires familiales, qui est temoin d'un crime devant elle, c'est-à-dire que le mari tue sa femme devant elle, et la réaction de son supérieur hiérarchique, c'est de dire : ‘Je prends tes dossiers et je continue ton travail', sans se soucier de la façon dont elle a vécu ce moment".
Au mitan des années 1980, le meurtre du petit Grégory avait ému la France, qui s'était mise à suivre jour après jour l'enquête menée par le juge instructeur Lambert. Sans doute plombée par l'emballement médiatique, celle-ci n'a pas permis d'identifier le coupable. "Jean-Michel Lambert racontait dans son livre, Le Petit juge, que, lorsqu'il a inculpé Christine Villemin et l'a incarcérée, il a commencé à pleurer", rapporte Dominique Verdeilhan. Le juge Lambert s'est donné la mort en 2017. "Il y a des magistrats qui se suicident. Il y a des magistrats, on l'a vu récemment à Nanterre, qui meurent en pleine audience". Le 18 octobre dernier, le décès de Marie Truchet dans l'exercice de sa fonction avait relancé le débat sur les conditions de travail des magistrats.
Il y a des magistrats qui se suicident. Il y a des magistrats, on l'a vu récemment à Nanterre, qui meurent en pleine audience
"Je raconte l'exemple de ce haut magistrat, Bruno Cotte, qui, lorsqu'il était procureur de la République de Paris, a eu à intervenir sur les attentats de la rue de Rennes en 1986", présente le journaliste. "Il s'est rendu compte que la cellule psychologique mise en place l'était pour les médecins, les policiers, les gendarmes, mais absolument pas pour les magistrats qui venaient sur le terrain". Les temps ont changé, mais l'image du juge froid et inflexible a la peau dure. "On considérait à l'époque que le magistrat est solide, droit comme la justice, et qu'à partir de là il n'a pas d'émotion", regrette Dominique Verdeilhan. Au fil des pages, on se convainc du contraire.
*Dominique Verdeilhan, Les Magistrats sur le divan, 2017, Editions du Rocher, 20,90 euros
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