Le 3 mai 1968 a débuté en France un vaste mouvement de contestation étudiante. Même si beaucoup, parmi les responsables ecclésiaux, se sont montrés circonspects, voire critiques, l'Église catholique de France a observé les faits avec une certaine bienveillance. Les heurts de mai 68 ont eu lieu alors que l'Église connaissait une grave crise, amorcée dans les années 50, et qui s'est poursuivie par d'importants départs de prêtres dans les années 70. Si mai 68 n’est pas la cause de tous les maux, ce moment peut tout de même être vue comme le symptôme d’une Église de France à la recherche d’elle-même.
En mai 1968 l'Église de France est en mutation, "on peut même dire qu'elle est en crise", pour Jean-Louis Schlegel. Depuis trois ans elle est sortie du concile Vatican II (d'octobre 1962 à décembre 1965), mais les causes de cette crise sont bien antérieures aux concile. "Ce n'est pas le concile qui est la cause d'une crise, on peut dire qu'il a accélérée ou favorisée cette crise mais les textes ne sont pour rien dans la crise de l'après concile", explique Yves Chiron, auteur de "L'Église dans la tourmente de 1968" (éd. Artège). Plutôt que l'événement en lui-même c'est "l'esprit Vatican II" qui a pu jouer ce rôle d'accélérateur.
C'est dès les années 50 que l'on observe "des signes avant-coureurs" d'une crise : une baisse de la pratique, une diminution du nombre d'ordination et d'entrées au séminaires, auxquels il faut ajouter des situations de conflits entre dirigeants au sein de plusieurs mouvements d'action catholique. Et dès 1966 on a constaté d'importants départs de prêtres et surtout de séminaristes ou religieux en formation. Pour Jean-Louis Schlegel, il s'agit d'une "crise de l'autorité dans l'Église". Le sociologue a publié l'article "1968, année hérétique ?" paru dans l'hebdomadaire La Vie (le 25/04/2018).
La France des Trente Glorieuses a connu des taux de croissance à 8%. Une situation économique très florissante et le sentiment partagé d'une société qui évolue. On a vu des hommes d'Église et des chrétiens dénoncer le scandale des inégalités qui se creusent, la société de consommation, le règne de l'argent, les écarts Nord-Sud... Ce n'est pas un hasard si en 1961 est créée la première ONG française de développement, le CCF (Comité catholique contre la faim - futur CCFD-Terre solidaire).
"Je n'avais pas envie de construire ma vie uniquement autour du pognon du succès des Trente Glorieuses." Guy Aurenche, co-auteur de "Mai 68 raconté par les catholiques" (éd. Temps Présent), se souvient d'un "sentiment d'insatisfaction, d'injustice", d'un refus du consumérisme et du matérialisme. "L'Église dans laquelle je vivais était en crise mais sous le sens de la naissance, je vivais une église parisienne qui recevait non pas les textes mais l'esprit du concile, dans le sens d'une libération, d'un dynamisme."
"Le mot fétiche en 67, 68, rappelle Jean-Louis Schlegel, c'est 'révolution'". "Je ne crois que pas que, avant 68, les mouvements soient dans ce rêve de révolution, observe Yves Chiron, en revanche il est certain que des théologiens ont théorisé ou se sont intéressés à cette révolution." Dans les mois qui ont précédé mai 68 se sont tenus des colloques sur la question, on a publié des numéros spéciaux de revues sur le thème : "Révolution et Église" ou "Christianisme et révolution". Avec comme idée principale l'hypothèse - non écartée - de la lutte armée en cas d'injustice ou de situation d'oppression.
En ce qui concerne le rôle des aumôneries étudiantes catholiques et des congrégations religieuses, il est difficile de généraliser. Guy Aurenche, alors étudiant en droit, se souvient de débats organisés par le centre Saint-Yves. Pour lui, l'implication de son aumônerie étudiante aura été "un compagnonnage humain au cœur d'un combat, un témoignage évangélique".
Au sein de l'Église on a vu s'exprimer des réactions très différentes. Celle de l'abbé Lustiger notamment, futur archevêque de Paris, qui fut de 1954 à 1969 aumônier de la paroisse universitaire de Paris, connue sous le nom de centre Richelieu. "Il n'y a pas de place pour l'Évangile dans cette foire" aurait-il déclaré à propos des heurts de mai 68, estimant que la contestation étudiante manquait de perspective et de revendication claire.
À l'inverse le jésuite Michel de Certeau fait partie des rares à être allé rôder sur place. "Le coup de génie de Michel de Certeau, pour Jean-Louis Schlegel, c'est cette idée que mai 68 a été une révolution de la prise de parole." Comme si dans cette France en pleine métamorphose on éprouvait un besoin de parler, de mettre tout cela en parole. Le sociologue rappelle qu'on a considéré le regard du jésuite comme "l'une des meilleures interprétations de mai 68".
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