Le 10 mai se célébrait la « journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition », alors que la loi Taubira, reconnaissant la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, a 20 ans.
Article 1 : La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle (…) constituent un crime contre l'humanité.
Je me souviens alors de ma venue, il y a quelques années, sur l’île de Gorée, au large de Dakar, au Sénégal. Je me souviens de mon immense émotion en marchant sur cette île au demeurant magnifique, colorée et silencieuse. J’étais en compagnie d’une amie sénégalaise qui m’expliquait doucement l’histoire, comme pour prendre soin de moi. Le monde à l’envers, en quelque sorte.
Si pour le Sénégal, Gorée fut un centre concentrationnaire de moindre d’importance que Saint Louis ou Rufisque, l’île concentre la puissance mémorielle. L’historien et diplomate québécois Jean Louis Roy écrira « Celui qui vous dit « Gorée est une île », celui-là a menti, cette île n’est pas une île, elle est continent de l’esprit ». C’est bien cela.
Sur 28 ha, Gorée cristallise les impensables mémoires de ce que fut l’exploitation humaine la plus vile du XV au XIX e s. Tour à tour sous domination portugaise, néerlandaise, anglaise et française, Gorée fut marché d’esclaves et escale des « homéoducs » - oui comme pour les oléoducs du pétrole ! mais là il s’agit des humains – qui drainaient les esclaves de l’arrière-pays.
Comment résister lors de la visite de la Maison des esclaves. Au-delà de l’histoire singulière de ce lieu, il faut entrer dans ces cases minuscules où il est impossible de se tenir debout et où des dizaines de femmes, d’hommes et d’enfants étaient enchaînées, selon leur catégorie. Il faut, bouleversé, perdre son regard à l’horizon à la « porte sans retour » qui servait d’embarquement mais surtout de cimetière pour les corps trop affaiblis.
Il faut enfin méditer devant le Mémorial de Gorée, lieu d’hommage autant que de réflexion qui abrite le Centre International des mémoires, unique au monde, consacré aux droits humains et au dialogue entre les peuples. Ce ventre outragé dessiné par l’architecte italien Ottavio Di Blasi.
« Dans ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du ciel » dira Jean Paul II lors de sa visite sur l’île en février 1992.
Alors comment ne pas avoir encore honte et implorer les hommes autant que le ciel pour les plus de 40 millions, selon l’ONU et l’Organisation internationale du travail, enfants, femmes, et hommes réduits en esclavage aujourd’hui.
Véronique Margron op.
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