Le 26.07.2017 | Un an jour pour jour, et heure pour heure, après la mort du Père Jacques Hamel, et sur le lieu même de l'assassinat, Mgr Dominique Lebrun a prononcé l'homélie de la messe en mémoire du prêtre martyr. Des paroles fortes par lesquelles l'archevêque de Rouen rejoint la souffrance de tous ceux que la violence du drame a profondément meurtris.
Revenant sur la personnalité du Père Hamel, "un homme parmi les hommes, un prêtre parmi les prêtres, fidèle, simple, ordinaire", il évoque aussi les "fruits" du drame: "l'amitié, la concorde, le dialogue". "Sa vie, sa mort parlent bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer."
Dans son homélie nourrie de la parabole du semeur, de l'Évangile de saint Matthieu, Mgr Lebrun relève ce qui fait obstacle à l'amour du prochain. Il dénonce notamment les "addictions", les "drogues" et les "idéologies" qui détruisent les jeunes et "les plus fragiles".
"Notre cœur s'est-il endurci devant l'épreuve, ou bien la blessure l'a-t-il ouvert pour rencontrer les autres?" Pour que la mort du Père Hamel continue de porter des fruits, l'archevêque de Rouen encourage les fidèles à puiser dans la prière et l'eucharistie la force d'"accueillir l'amour".
"Celui qui a des oreilles, qu'il entende", dit Jésus. Dans cette église, le Père Jacques Hamel parlait, parlait le langage de l'amour. Dans cette église, le Père Jacques Hamel a été réduit au silence. Il ne parle plus. Or, le Père Hamel parle encore. Sa vie, sa mort, parlent bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer.
Sa vie, sa mort parlent, inspirent, mais aussi crient. Sa vie, sa mort, s'adressent à chacun d'entre nous, selon sa propre vie, selon ses prores questions ou ses convictions. Tout au long de l'année, nous avons crié quand des images atroces revenaient à notre mémoire, le jour et parfois la nuit.
Tout au long de l'année, nous avons crié quand nous n'étions plus les derniers à pleurer, selon la belle espérance de Monsieur Wulfranc [Hubert Wulfranc, maire de Saint-Étienne du Rouvray de 2002à 2017, nldr] Tout au long de l'année, nous avons crié car tuer au nom de Dieu est inhumain, contraire à l'humain. Comme l'a dit la maman de l'un des assassins à nous: comment Dieu, qui nous a créés, pourrait-il prendre du plaisir à nous voir nous entretuer?
Sa mort, sa vie, crient, mais elles inspirent. Des hommes et des femmes, j'en suis témoin, cherchent de nouveaux chemins. Ils les cherchent en découvrant et recevant le Père Jacques Hamel dans leur vie. Un homme parmi les hommes, un prêtre parmi les prêtres, fidèle, simple, ordinaire. Alors des artistes se mettent à composer des poèmes, écrivent des livres, réalisent des objets d'art. D'autres choisissent le silence pour mieux entendre le Père Jacques Hamel.
Sa vie, sa mort, crient, inspirent et parlent. Elles parlent même doucement. La parole, dit Jésus, est comme une semence. Des grains qui tombent sur le sol, cela ne fait guerre de bruit. Le Père Jacques Hamel parle doucement quand apparaît dans notre coeur non plus des images atroces, mais sa discrétion, sa persévérance, sa fidélité, sa générosité, sa vie donnée.
Sa vie, sa mort, parlent quand dans notre cœur nous percevons les premiers fruits du drame, l'amitié, la concorde, le dialogue. En somme, l'amour vainqueur bien au-delà de ce que nous aurions pu imaginer. La Parole est comme une semence, dit Jésus. Pour donner du fruit elle a besoin de la terre. Pour porter du fruit, la Parole, c'est-à-dire en fait l'amour, a besoin de la terre. Dieu a besoin de nous.
Alors aujourd'hui Dieu nous interroge: sommes-nous la bonne terre? Il relève trois obstacles à la fécondité de la Parole qui est de l'amour. En premier, le bord du chemin, où les moineaux font disparaître la semence, Nous pouvons nous mettre au bord du chemin, celui de l'histoire des autres, celui de l'histoire tout court. Ce peut être une tentation pour les chrétiens: se mettre hors-jeu en jugeant les autres, en condamnant de notre petite hauteur, en sachant tout. Cela, se mettre hors-jeu ne produit aucun fruit. L'amour disparaît sans avoir fécondé la terre.
Le deuxième obstacle c'est le sol pierreux: comment est notre cœur? S'est-il endurci devant l'épreuve, ou bien la blessure l'a-t-il ouvert pour rencontrer les autres, et d'abord les autres blessés de la vie, quels qu'ils soient. Sur le sol pierreux la plante commence à pousser mais elle manque de racines. Beaucoup d'hommes, pas seulement les chrétiens, pas seulement ceux qui se rassemblent dans une communauté, savent que la prière permet à l'amour de Dieu de s'enraciner dans le coeur. En fait, nous pouvons faire l'expérience que la prière ne comble pas mais creuse le désir de l'amour.
Enfin, Jésus met en garde contre les ronces qui étouffent. Quelles sont-elles, sinon l'agitation du monde qui envahit nos meilleures intentions? Comment ne pas ici vous remercier Monsieur le Président d'avoir voulu que soit respectée la prière chrétienne? Les ronces, quelles sont-elles sinon ces addictions, ces drogues, ces idéologies qui peuvent emporter les enfants, les jeunes, les plus fragiles, dans des cercles de violence incontrôlables? Quelles sont-elles sinon ces mensonges, ces jalousies, ces désirs de paraître, ces injustices, qui étouffent notre joie de vivre ensemble?
Frères et sœurs, Jésus dira aussi: "Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits." [Jn 12, 24*] Jésus parlait de sa mort; Il parlait aussi de tous les hommes qu'il a unis mystérieusement dans sa mort pour qu'ils vivent avec lui, le premier des ressuscités. Le Père Jacques n'est pas mort seul, il est mort avec Jésus dont il venait de prononcer les paroles sur l'autel: "Ceci est mon corps livré pour vous."
À chaque eucharistie nous entendons la parole de Dieu. Nous la célébrons dans sa vie donnée en Jésus pour tous, et à tous. Que notre eucharistie ce matin, frères et sœurs, comme celle que chaque prêtre célèbre - avec un seul, comme dans certains pays, ou cinq fidèles ou bien avec des milliers - que cette eucharistie nous entraîne à accueillir l'amour.
L'amour qui résiste aux ronces, l'amour qui s'enfouit au plus profond de nos cœurs pour donner les fruits tant attendus par notre prochain, qui est parfois lointain.
Amen.
Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer. Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles: "Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés.
D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu’il entende!"
(Mt 13, 1-9)*
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