Il y a quinze jours, Camille Kouchner a publié "La Familia Grande", un livre dans lequel elle accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d’avoir violé son frère jumeau lorsqu’il était adolescent, dans les années 1980. Depuis, l’onde de choc est immense. Les témoignages de victimes d’inceste affluent sur les réseaux sociaux, soulevant de nombreuses questions notamment sur la prescription de ce crime.
C’est le mot-clé "Me Too inceste" qui a rassemblé tous les témoignages, en écho à ceux qui dénoncent les violences sexuelles faites aux femmes depuis 2017. Parmi eux, celui de Floriane, 45 ans : "J'ai été abusé jusqu'à mes 12 ans, mon bourreau "mon oncle" mon calvaire a commencé vers l'âge de 6 ans."
La parution de "La Familia Grande" et les témoignages de victimes lui ont donné de la force, elle qui avait pendant longtemps été contrainte au silence. "Vers l’âge de 10 ans, j’étais avec ma cousine chez ma grand-mère où mon oncle vivait. Il est venu vers nous et j’ai osé me rebeller. Il est entré dans une colère ! Ma grand-mère est arrivée et je lui ai dit. Elle m’a dit 'Je ne te crois pas, je ne veux pas que tu en parles car on ne te croira pas'. Quand votre propre grand-mère ne vous croit pas vous vous dites ‘On ne me croira jamais'", explique Floriane, qui n'a jamais porté plainte.
L’inceste est un crime qui jusque-là était souvent tabou, nié, alors qu’un Français sur 10 dit en avoir été victime, selon un sondage Ipsos. Mais le silence commence à se briser. "Les victimes ne se sentaient pas légitimes, avaient peur de parler. Là, il y a tout un espace sécurisé pour prendre la parole et réclamer que le monde change. L’inceste, c’est à l’intérieur de la famille et c’est un espace qui a été très longtemps préservé à tout prix. On est à un moment historique. Il y a un avant et un après", constate Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.
L'amnésie traumatique concerne 39 % des victimes d'inceste. C’est le fait de ne pas se souvenir, ici d’une agression sexuelle ou d’un viol, à cause du traumatisme. Mié Kohiyama a connu cette amnésie. Cette journaliste a subi un viol à l’âge de 5 ans par son cousin de 39 ans. Il s’en est suivi une amnésie traumatique longue de 32 ans. À cause de cela, sa plainte a été classée sans suite. "Les souvenirs ont ressurgi quand j’avais 37 ans. Je suis allée voir un hypnothérapeute et les souvenirs très précis des viols sont remontés. J’ai déposé plainte contre mon agresseur mais elle a été classée sans suite du fait de la prescription", explique-t-elle.
Désormais, avec son association Moi aussi amnésie, elle se bat afin que l’amnésie traumatique soit considérée comme un élément qui suspend la prescription et que les crimes sexuels sur mineurs soient imprescriptibles. Aujourd’hui, le délai de prescription est de 30 ans après la majorité de la victime. Jusqu’à 48 ans, il est possible de déposer plainte pour des faits de violences sexuelles subies lorsque l’on était mineur. Après ce délai, elle risque d’être classée sans suite. Mais cet allongement est en vigueur depuis 2018 et n’est pas rétroactif. Le rendre rétroactif serait anticonstitutionnel.
Rendre imprescriptible ce crime poserait de nombreux problèmes pour certains juristes. "Je suis réservé voire hostile à cette imprescriptibilité. Si on se met à faire de ce crime un crime imprescriptible, pourquoi pas faire de certains meurtres des crimes imprescriptibles ? On sait très bien qu’au fur et à mesure que le temps passe, les preuves disparaissent", affirme Didier Rebut, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas et membre du Club des Juristes, un groupe de réflexion duquel Olivier Duhamel a récemment démissionné. Aujourd’hui, seuls les génocides et les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles en France.
Une commission a été créée il y a un mois pour enquêter sur l’inceste en France. Elle s’est inspirée de la commission Sauvé, qui concernait les abus sexuels dans l’Église. Mais cette commission sur l'inceste a déjà connu un faux départ. L’ancienne garde des Sceaux Elisabeth Guigou, qui devait la présider, a démissionné. En cause : sa proximité avec Olivier Duhamel, même si elle nie avoir été au courant de ses actes.
Au-delà d’une commission, les associations demandent des actes. "Il faudrait que ce soit une priorité politique majeure. Les professionnels ne sont pas formés, il n'y a pas suffisamment de centres, de protection des victimes. Il y a des mesures très importantes à prendre en urgence et il ne s’agit pas de faire une commission pour faire un état des lieux. On sait ce qu’il faut faire !", alerte Muriel Salmona, dont le nom est parfois soufflé pour prendre la tête de cette commission.
Pour tout besoin d'aide, vous pouvez appeler le 119 pour les enfants en danger, ou vous rapprocher d'associations comme SOS Inceste, Mémoire traumatique et victimologie, ou Face à l'inceste.
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