Depuis trois mois, l’Algérie vit un grave conflit social, suite à une crise économique importante. 'Le régime fait face à une crise économique extraordinairement importante avec l’écroulement du prix du baril. Et comme l’économie était assise sur le pétrole et sur le gaz, cela rend les choses beaucoup plus compliquées' explique Mgr Jean-Paul Vesco, dominicain, évêque d’Oran en Algérie depuis cinq ans.
Dans cette crise économique et sociale, la jeunesse est en première ligne. 'C’est difficile d’avoir 20 ans aujourd’hui en Algérie. Elle rêve comme tous les jeunes d’évasion, d’un avenir. La jeunesse est éduquée. Beaucoup font des études. Les débouchés ne sont pas forcément au rendez-vous. Elle rêve de vivre en France même si la France n’est pas un eldorado pour eux. Elle rêve aussi d’autres pays. On rêverait qu’elle rêve de construire son avenir en Algérie, c’est sûr' ajoute l’évêque d’Oran.
Mgr Vesco est donc l’évêque d’Oran depuis cinq ans, dans un pays où la quasi-totalité de la population est musulmane. Ce qui fait de l’Église d’Algérie une institution tout à fait particulière. 'C’est une toute petite Église insignifiante quantitativement. C’est une Église qui a fait le choix, en 1962, de participer à la construction d’une société musulmane. Elle accueille évidemment ceux qui sont chrétiens. C’est une communauté particulière composée de travailleurs, d’étudiants, de migrants, d’Algériens qui se sont sentis attirés par l’Église. Il y a des expatriés, mais assez peux finalement' précise Mgr Vesco.
Il y a quelque temps, Mgr Vesco a commis un livre avec le journaliste Christophe Henning, un livre sur l’amitié. Une amitié qu’il vit au quotidien avec les musulmans algériens, et qui est capitale pour l’évêque. 'L’amitié est essentielle. Je crois que tous ceux qui ont fait cette Église depuis cinquante ans sont restés au nom de l’amitié. Ce n’est pas une valeur faible. Elle est pour moi le vecteur principal de l’Évangile. Je crois que l’Évangile se transmet et se reçoit par l’amitié. Entre croyants, l’échange se fait dans l’amitié. S’il se fait dans la confrontation, il est stérile' lance l’évêque d’Oran. Ce dernier ajoute que 'l’amitié a ceci de particulier qu’elle se joue des différences. Non seulement, elle se joue des différences, mais elle s’en nourrit. A ce moment-là, toutes nos différences deviennent des richesses'.
Il y a un mois, le Vatican annonçait la béatification prochaine de 19 martyrs d’Algérie, dont le prédécesseur de Mgr Vesco, Mgr Claverie, les moins de Tibhirine. 'C’est une joie profonde et un immense défi. Ce n’est pas une évidence. Ces béatifications s’inscrivent à la croisée de tant de forces : au milieu des relations entre l’Algérie et la France, entre chrétiens et musulmans. Elles font mémoire d’un événement qui s’est passé il y a vingt ans, de dix ans de guerre civile. Pour les Algériens, c’est encore un présent. Pour beaucoup de membres de l’Eglise, ils étaient présents à ce moment-là' analyse Mgr Vesco.
Ce dernier livre par ailleurs que le terme de martyr ne lui va pas. 'Ce mot ne nous va pas. Le terme canonique c’est martyr en haine de la foi. Ce mot, on pourrait se le réapproprier. Il y a tellement de martyrs qui témoignent en tuant. Là, ce sont des martyrs qui ont témoigné en donnant leur vie. C’est la question du martyr en haine de la foi qui pose problème. Pour savoir si c’est le cas, il faut se placer dans la tête de celui qui tue. Ils ont été tués car ils étaient chrétiens, et car ils étaient restés là, ça c’est clair. Mais ils ont aussi été tués en haine d’une société laïque, en haine de l’étranger, en haine du mauvais musulman, en haine tout court. Ce sont des martyrs de la haine, et à la haine ils ont répondu par l’amour' lance-t-il.
Pour Mgr Vesco, la béatification de ces martyrs est un vrai défi. 'Je ne sais pas ce que le terme de béatification veut dire en France, pour les Français. Dans un autre pays, et dans une autre religion, cela ne leur dit rien. Le gros risque, c’est qu’on dise que c’est une Eglise qui honore 19 victimes quand il y a eu plus de 100 imams tués car ils refusaient de justifier la violence. L’important, à travers cette célébration, c’est de faire passer le message de ces bienheureux et de cette petite Eglise, qui est cette volonté de vivre ensemble, et de construire ensemble, par delà nos différences religieuses' conclut-il.
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