La déambulation est un bien joli mot, apparu en 1492, et illustré en fait avec une certaine profondeur par Marcel Proust dans Du côté de chez Swann peru en 1913 dans ce passge que je lis d’emblée : « Je ne savais pas que, bien plus tritement que les petits écarts de régime de son mari, mon manque de volonté, ma santé délicate, l’incertitude qu’ils projetaient sur mon avenir, préoccupaient ma grand-mère au cours de ces déambulations incessantes de l’après-midi et du soiroù on voyait passer et repasser son beau visage ». En fait c’est tout le charme du mot « déambulation », il reste vague, tantôt très heureux, tantôt inquiétant. Et ses racines sont très anciennes.
Une histoire parallèle et d’une certaine façon ancienne et récente. Le verbe déambuler, bien qu’ attesté en 1477, est de fait d’usage très rare avant le XIXe siècle, et il est issu du latin deambulare, désignant le fait de se promener. On y retrouve le verbe ambulare signifiant marcher qui avait d’ailleurs donné ambuler en français attesté au XVe siècle, verbe qui n’est plus en usage aujourd’hui. Il désignait le fait de se promener en marchant, sans hâte et souvent sans but. Dans son Vocabulaire des mots nouveaux, en 1801, Louis Sébastine Mercier essaie de faire de ce mot ancien un mot nouveau : « Ambulons mes amis, écrit-il, le temps est beau, frais et pur. Cette expression, ajoute-t-il, pourrait remplacer promenons-nous. » Et le voilà donnant un exemple : « Il y a tel homme à Paris qui ne fait qu’ambuler du matin au soir, sur les boulevards, sur les quais, c’est là tout son emploi et sa délectation ». Mais Mercier n’a pas eu gain de cause, le verbe ambuler n’a pas repris vie. Hélas, c’est l’ambulance qui a eu du succès, née à la fin du XVIIIee, attachée aux hôpitaux militaire. C’est en fait le verbe déambuler qui l’a emporté sur ambuler, avec le même sens d’une marche sans but précis, selon sa fantaisie.
Eh bien oui, en psychiatrie, elle désigne la tendance à marcher, à errer sans but. Et c’est vrai que le mot « déambulation » a peu à peu pris souvent un sens négatif. Et par conséquent une déambulation nocturne dans un musée, c’est une manière de redonner du plaisir et de l’intérêt à un mot qui pourrait devenir peu engageant. Qu’est-ce que tu fais ce soir ? Ah, je vais faire une déambulation nocturne dans un musée ! Ah, très bien, alors je viens déambuler avec toi. C’est mieux que de somnanbuler tout de même…
Jean Pruvost, lexicologue passionné et passionnant vous entraîne chaque matin dans l'histoire mouvementée d'un simple mot !
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