"Il est interdit d’interdire", c’est un des slogans de la révolte de Mai-68, symbole libertaire. Mais cette liberté a été dévoyée, raconte Camille Kouchner dans son livre "La familia grande" (éd. Seuil). Elle y accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d’avoir violé son demi-frère, qu’elle surnomme "Victor", lorsqu’il avait 14 ans.
Dans les pages du livre, on découvre une époque, un environnement où tout semble autorisé, notamment sur le plan de la sexualité. Mais alors la génération post-68 a-t-elle favorisé la pédocriminalité ? C’est une des grandes accusations qu’on lui porte. "Des dérives il y en a eu mais 68, il y a des gens qui veulent en donner une vision globale. C’est vrai qu’il y avait des tribunes dans Libération qui disaient que la pédophilie n’était pas quelque chose d’épouvantable mais les féministes nous avons combattu cette idée", se défend Martine Storti, philosophe, ancienne journaliste. Elle militait avec le MLF, le mouvement de libération des femmes dans les années 70.
Selon elle, les responsabilités sont individuelles. Toujours est-il que la société a changé. Depuis ses premiers pas dans le militantisme, Martine Storti a constaté que la place accordée à la parole des victimes est plus importante. "Ce qui est nouveau c’est que des femmes libèrent la parole. L’écoute est plus importante et aussi la diffusion des propos est plus importante. L’énorme changement entre les années 70 et aujourd'hui c’est les réseaux sociaux", affirme celle qui vient de publier "Pour un féminisme universel" aux éditions du Seuil.
C’est souvent à travers les médias que des personnes parlent pour la première fois. "D'un côté il y a les réseaux sociaux qui permettent à de simples anonymes d’exprimer leur souffrance. De l’autre côté, il y a des médias journalistiques qui se sont emparés de ces sujets. Tout cela n’est possible que parce que l’opinion publique a changé vis-à-vis de cela", analyse Alexis Lévrier, historien du journalisme.
C’est face à cela que les médias journalistiques ont un devoir lorsqu’ils s’intéressent à une affaire de violences sexuelles. "On a jamais eu autant besoin d’enquêtes journalistiques que depuis que les médias accueillent une parole libérée sur les réseaux sociaux. Pour que cette parole des victimes puisse continuer à être accueillie, la presse doit continuer à étayer ses enquêtes", alerte Alexis Lévrier.
Souvent grâce aux médias, aux réseaux sociaux, le travail judiciaire et législatif s’accélère. La loi concernant les crimes d’inceste est en train d’évoluer. Le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti avait annoncé un seuil de non consentement à l'âge de 15 ans en deçà duquel tout acte sexuel commis par un adulte serait un viol. Dimanche, le ministre a proposé que ce seuil passe finalement à l’âge de 18 ans.
Pour autant, cet éveil des consciences n'aboutit pas nécessairement à plus de condamnations. Il y a un décalage qui perdure entre la condamnation des violences sexuelles par la société et la façon dont elles sont traitées sur le plan judiciaire. "Quand on regarde ce que la justice fait de ces violences sexuelles on s’aperçoit qu’elle condamne très peu. Cette énigme tient au fonctionnement de la justice, à ses principes qui font qu’elle n’est pas uniquement une chambre d’écho de la parole de la victime", explique la sociologue Véronique Le Goaziou.
Si vous êtes ou vous voulez aider un enfant en danger, vous pouvez appeler le 119. Si vous êtes une femme victime de violences sexuelles, vous pouvez appeler le 3919.
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