L'obéissance : ce mot provoque des frissons chez les uns, et une forme d'accomplissement chez les autres. Obéir conduit directement à la soumission, à l’effacement, au manque d’audace, c’est l’action de ceux qui refusent les responsabilités, affirment les uns. Mais d’autres diront que l’obéissance est le socle d’une société, d’une famille, la condition pour vivre ensemble. Dans la vie religieuse, l’un des trois vœux à respecter pour rejoindre une plus grande liberté. L'homme est-il "disposé" à obéir et est-ce conciliable avec son amour pour la liberté ? Quels sont les ressorts et les limites de l’obéissance ? À qui ou à quoi faut-il obéir, et comment discerner ?
L’obéissance n’a pas bonne presse. Ceux qui la défendent se voient affubler d’une sorte de ringardise, de rigidité, voire de manque d’esprit critique, à l’opposé de ceux qui encouragent la désobéissance, affichés d’office comme des affranchis.
Pour Sophie Darne, psychanalyste en cabinet et psychologue en protection de l’enfance, toute la complexité est dans le nouage entre : faire confiance envers une personne dont on reconnait l’autorité, et garder son libre-arbitre pour se poser la question de ce qui est juste. « Si notre comportement est régi par la peur, et que nous nous dépossédons de nous-même pour nous en remettre à d’autres, alors est-ce vraiment de l’obéissance ? », interroge l'auteure d’une thèse intitulée "Pas sans l’obéissance".
Qu'en est-il du vœux d’obéissance prononcé par les religieux, en même que la chasteté et la pauvreté ? « Ce n’est pas une fin en soi. Le vœux d’obéissance signifie que je reconnais une autorité, une sagesse, une personne qui a la capacité de nous faire grandir ensemble » explique le frère Sylvain Gasser, assomptionniste.
Avant de raconter une expérience, le conseil donné par son maitre des novices, il y a une trentaine d’année : « Il m’avait encouragé à tout faire pour avoir l’avant-dernier mot. C’est-à-dire défendre ce qui est important pour moi, pour ne pas être dans l’obéissance aveugle. Mais tout faire pour garder une écoute, considérer celui qui est devant moi. »
Dans le milieu militaire, lorsqu’un nouveau chef de corps est nommé, il est intronisé par cette déclamation : « VOUS reconnaîtrez désormais pour votre chef le colonel XX, ici présent, et vous lui obéirez en tout ce qu’il vous commandera, pour le bien du service, l’exécution des règlements militaires, l’observation des lois et le succès des armes de la France.»
Une formule immuable qui dit beaucoup de l’obéissance. « On touche là au sens profond de l’obéissance : un militaire qui n’obéit pas c’est la catastrophe, un pompier qui n’obéit pas, ça ne fonctionne plus. Mais ce qui est important, c’est de pouvoir permettre à des personnes d’analyser une situation, de pouvoir la juger pour prendre une décision, d’avoir cette instance critique », explique Sylvain Gasser.
À ce titre, l’expérience de Milgram est intéressante. Elle a été menée par le psychologue Stanley Milgram, hanté par les atrocités de l’holocauste après la Seconde guerre mondiale. Cette expérience est aussi connue sous le nom "d'étude de l’obéissance à l’autorité". Elle a consisté à placer des individus devant l’injonction d’envoyer des décharges électriques à des étudiants – complices – chaque fois qu’ils donnaient une mauvaise réponse.
L’idée était de tenter de comprendre les mécanismes psychologiques ayant conduit à la Shoah. Or, les résultats publiés en 1963 sont stupéfiants : les deux-tiers des participants ont participé à cette torture, dès lors qu’une figure d’autorité le leur demande. Conclusion : l’être humain préfère (encore) torturer que désobéir.
« Comment faire quand une injonction ne nous parait pas ajustée ? Comment garder une place pour notre subjectivité ? » questionne Sophie Darne. Ici, c’est la liberté du sujet qui est en jeu : comment ne pas céder sur ces désirs essentiels, tout en restant dans l’obéissance.
Pour le frère Sylvain Gasser, ce qui se joue c’est la possibilité de construire une relation : « le désaccord doit être pensé au cœur même de la relation, pour un couple comme pour une communauté. Le Christ vient casser la domination, il ne nous appelle plus esclave mais amis. »
Le frère Sylvain Gasser invite chacun à mieux comprendre l’obéissance. « L’obéissance est un travail, ce n’est pas donné, ce n’est ni évident, ni naturel. C’est au carrefour de l’écoute, de la décision, de l’éducation. »
Pour Sophie Darne, « l’obéissance est un paradigme du bien social : elle est essentielle. Elle n’existe ni dans la soumission, ni dans des postures hors sols ».
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