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Pierre Servent : "Nous sommes face à des guerres avec lesquelles il faut raisonner non pas en années, mais en décennies"

Un article rédigé par Christian Vadon - RCF,  - Modifié le 29 juin 2021
3 questions àPierre Servent : Nous sommes face à des guerres avec lesquelles il faut raisonner non pas en années, mais en décennies
Retour sur la situation au Sahel et sur l'opération de libération de quatre otages qui a conduit à la mort de deux soldats français avec l'expert en stratégie militaire Pierre Servent.
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Depuis 4 ans, le Burkina Faso est confronté aux exactions des groupes jihadistes. Dimanche, une attaque dans une église en pleine messe a fait 6 morts dont le prêtre. Aujourd’hui, les ministres de la Défense de l’Union Européenne vont se pencher sur la situation du Sahel. Au même moment à Paris, la Nation va rendre hommage aux 2 soldats français tués lors de la libération de 4 otages, toujours au Burkina. Christian Vadon s’entretient avec Pierre Servent, expert en stratégie militaire.
 

Alors on le voit, les groupes djihadistes étendent de plus en plus leur zone d'intervention, est-ce à dire que la France avec son opération Barkane et la force africaine G5 Sahel sont en train de perdre cette lutte contre les islamistes ?

"Non, je ne dirais pas ça. Ce que les djihadistes, en l'occurrence AQMI, Al-Quaida au Maghreb Islamique et ses alliés Touareg ont perdu avec l'opération Serval, c'est à dire une zone dans le nord-Mali, ils l'ont gagné en horizontalité, avec des forces moindres mais sur des étendues très grandes et avec une capacité à frapper, à monter de micro-opérations mais avec des effets très importants. S'il n'y avait pas la force Barkane, s'il n'y avait pas les forces de l'ONU, la MINUSMA, le G5 Sahel, les formateurs européens, la situation serait infiniment plus catastrophique. Mais nous sommes face à des guerres avec lesquelles il faut raisonner non pas en années mais en décennies. Les problèmes de fond c'est la corruption, le sous-développement, le fait que les capitales de nombre de ces pays se moquent totalement de régions entières... Donc c'est tout ces problèmes de fond qui demandent un énorme effort de ces pays, et même d'une certaine façon, certains des dirigeants s'accommodent très bien de ce chaos, parce que derrière vous avez du trafic, des bandes, de l'argent international qui arrive, voilà c'est pour ça que nous sommes dans des situations très très longues. "
 

Alors ce mardi les ministres européens de la Défense vont échanger sur ces dossiers au sommet de la lutte antiterroriste au Sahel. Jusqu'à présent, quel soutien la France reçoit de l'Union, et de quelle manière Bruxelles pourrait renforcer son aide ?

"Les européens mettent de l'argent au pot du développement, envoient des instructeurs pour former les armées locales, mais il faut bien dire que nos amis européens sont très réticents à s'engager en Afrique, pour deux raisons, une qui est celle consistant à dire que le continent africain est un continent d'avenir et il va le rester très longtemps, de nombreux pays européens se disent "ça ne sert à rien, c'est un tonneau des Danaïdes", sachant que ce sont des opérations coûteuses, coûteuses en hommes aussi, en pertes humaines, avec des progrès assez faibles, et puis il y a une seconde raison qui est liée à la propre expérience de la France et notamment du Rwanda. Sur le Rwanda, la France avait porté l'opération Turquoise qui a permis de sauver la vie de dizaines de milliers de rwandais,  et la France se trouve régulièrement accusée de complicité directe ou indirecte de génocide, et cette histoire contribue à ce que les européens se disent "on met pas les pieds en Afrique parce que c'est une terre à drames et emmerdements" voilà comment les choses se présentent."
 

La libération dans le nord du Burkina de quatre otages par les forces spéciales françaises s'est soldée par la mort de deux soldats, ce sarcifice est-il inhérent à ce genre d'engagement, et puis comment nous citoyens on peut soutenir nos soldats ?

"Tous les soldats, quels qu'ils soient, quand ils signent leur propre contrat, ils le signent avec leur sang, parce qu'ils savent que la mort peut être au bout de cet engagement, donc c'est pas quelque chose de neutre, c'est quelque chose de très beau dans notre société très marquée par le principe de précaution, par l'individualisme.. Donc vous êtes obligés de réfléchir aussi à la vie à la mort, à l'engagement, à ce que ça représente. Alors qu'est ce qu'on peut faire pour les soutenir ? Surtout ne pas les regarder comme des victimes, ne pas être irresponsable en son propre comportement quand on souhaite aller en Afrique, il faut être responsable, et puis il faut essayer de nous inspirer nous-mêmes dans nos vies civiles de cette qualité d'engagement, là où il y a des militaires, faire bloc avec eux, aller aux cérémonies d'hommage quand c'est possible et de façon générale je dirais qu'il faut retremper notre patriotisme militaire, sans cocorico, sans flonflons."  

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