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​Quand Simone Weil inventait le réseau social d’entreprise

RCF,  - Modifié le 16 octobre 2018
Chaque mardi Jean-Marie Valentin vous propose son éditorial.
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Ce week-end, j’ai relu la correspondance que Simone Weil - la philosophe - a entretenu en 1936, avec un directeur d’usine. Simone Weil est alors une jeune normalienne de 27 ans, agrégée de philosophie. Etonnamment, elle a tenu à connaitre la condition ouvrière, dans sa chair, en travaillant de long mois à la chaine dans différentes usines.

En lisant la première lettre vous comprenez que ce directeur a été touché par l’expérience de Simone Weil. Il a cherché à en savoir plus. Il voulait bien faire, sans doute pour mieux diriger les 800 ouvriers de son usine. Cette lettre nous relate que dans cet élan, Simone Weil lui a proposé une collaboration audacieuse… que le directeur vient de lui refuser, y voyant trop de risques. Et en dépit de toute l’énergie, de toute l’intelligence qu’elle va déployer pendant 6 mois au travers de cette correspondance que je vous invite à lire, ce chef d’entreprise renoncera à mettre en œuvre le projet de Simone Weil.

Elle lui avait proposé de laisser les ouvriers s’exprimer dans un journal interne, faisant elle-même office de modératrice, rendant anonyme les témoignages et les mettant en forme. Ce faisant, elle inventait le réseau social d’entreprise ! Elle y voyait le moyen de renforcer les ouvriers dans leur dignité. Le directeur y vit un risque d’exciter l’esprit de classe en plein front populaire.

Ce texte me touche parce que je connais cette usine. Elle est sur ma paroisse en Berry. C’est l’usine de Rosière qui fut un fleuron de l’industrie Berrichonne employant jusqu’à 1.200 salariés. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de tout cela. Alors bien sûr, 80 ans ont passé depuis que Simone Weil écrivait à ce directeur d’usine, et c’est sans doute déjà un miracle qu’une activité s’y maintienne aujourd’hui. Mais je ne peux m’empêcher de m’interroger : quel aurait été le destin de cette usine si son directeur avait eu l’audace de dire oui ?

Il serait facile de le blâmer pour ce manque d’audace. Mais je ne le ferai pas. Car il a eu celle de s’ouvrir à cette jeune agrégée de 27 ans, d’échanger avec elle en vérité pendant 6 mois, de se rendre perméable à ses idées, à ses aspirations. Il est peut-être passé à côté d’une belle histoire, ou peut-être pas. On ne réécrit pas l’histoire. Mais il a discerné. Et moi, dirigeant de mon temps, de ce temps si prompt à juger, ai-je cette audace de me mettre à l’écoute de ceux qui ne pensent pas comme moi, à l’écoute des plus fragiles, pour nourrir mon discernement et mon action de dirigeant ? Voilà la question que je me pose ce matin après avoir relu ces lettres.
 

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