Près de mille personnes pour la seule journée de samedi.
Des traversées plus nombreuses, des passeurs mieux équipés, des sauveteurs en mer beaucoup moins sollicités. L’exil maritime vers l’Angleterre s’intensifie.
Jamais autant de candidats à l'exil n'ont atteint les côtes britanniques au départ de la France. Depuis le début de l’année, 23 000 migrants, selon les chiffres officiels, ont rejoint le Royaume-Uni par la voie maritime. Deux fois plus qu’en 2021. A Calais, « l’auberge des migrants » est un baromètre fiable de la situation. William Feuillard, coordinateur de l’association est exaspéré : « Si l’on militarise tout et que l’on réduit fortement les chances pour les personnes de passer par le train ou quoi que ce soit, eh bien ils vont trouver d’autres moyens. Cette atmosphère d’errance permet aux passeurs de développer un discours en leur disant : « essayer de tenter votre chance en Angleterre ». La stratégie de nos gouvernements, c’est rendre Calais un enfer et ils se disent qu’ils vont arrêter de venir. Mais on voit que ça ne marche pas. »
Plusieurs associations calaisiennes, dont l’Auberge des migrants, déplorent également le « retour » des interdictions de distributions alimentaires. La préfecture du Pas-de-Calais interdit en effet depuis le 14 août aux associations non mandatées par l’État de distribuer eau et nourriture en centre-ville.
Les demandeurs d’asiles hésitent de moins en moins avant de prendre la mer.
Pour preuve, ce nombre record de traversées. Près de 1000 migrants ont traversé la Manche samedi 3 septembre, selon les autorités britanniques qui annonçaient même un pic de 1300 personnes en une seule journée le 22 août. Et pourtant, selon Gérard Barron « paradoxalement, le nombre de traversées mathématiquement ayant doublé par rapport à la même époque de l’année dernière, le nombre de sauvetages effectués par la SNSM sur la Manche Mer du Nord est en large diminution. »
Président de la SNSM, la société nationale des secours en mer, de Boulogne, il avance pour cela, outre une meilleure météo que l’an dernier, deux raisons :
« La première, c’est que les moyens de l’Etat ont été largement augmentés. Et la seconde, les moyens utilisés par les passeurs sont de qualité tout à fait améliorée. Il y a donc moins de naufrages. Ce qui fait que malgré l’augmentation du nombre de traversées, les sauveteurs surtout de Boulogne et de Calais, interviennent beaucoup moins auprès des naufragés de type migratoire que l’année dernière. Par contre, ils partent d’aussi bas que la baie de Somme maintenant. Ce qui fait que c’est la SNSM de Berck qui cette année travaille le plus avec parfois en renfort des moyens de Cayeux et du Tréport. »
Londres prévoit d’expulser au Rwanda migrants et demandeurs d’asile en situation irrégulière. Pour l’instant, la procédure est bloquée.
Une politique d’expulsion vers l’Afrique qui pourrait disparaître avec le changement de gouvernement britannique ce lundi 5 septembre.
Par contre, le gouvernement britannique a passé un accord avec l’Albanie. Aujourd’hui, 40 % des traversées concernent des Albanais, qui vont être directement expulsables dans leur pays.
Les passeurs en profitent pour faire pression sur les candidats à l’exil en les poussant à se mettre à l’eau en urgence avant l’entrée en vigueur de cet accord.
La zone de départs s’est considérablement agrandie.
La baie de Somme est dorénavant une zone de départs réguliers. Mgr Gérard Le Stang, l’évêque de la Somme dont le département possède cinquante kilomètres de côtes, y voit d’abord des êtres humains en grande détresse : « Ce sont des gens qui ont quitté depuis longtemps leur pays d’origine et qui sont en train de chercher une terre d’accueil au risque de leur vie, en payant très cher. Donc il y a une forme de compassion qui nous saisit. Ensuite on rejoint là le combat du pape François et de beaucoup d’associations, d’organismes, de diocèses, pour sauvegarder la dignité des migrants bien sûr et puis aussi pour chercher des solutions politiques, économiques pour permettre la diminution de ces flux migratoires. »
Et l’évêque d’Amiens de préciser : « les chrétiens sont au rendez-vous. Que ce soit dans le Pas-de-Calais, le Nord ou ici dans la Somme où une paroisse a mis à disposition un lieu pour un accueil administratif. Il n’y a pas de squat ici dans le diocèse d’Amiens pour l’instant. Il y a des personnes qui arrivent de nuit et qui repartent rapidement. Mais si la situation se présente, on essaiera d’agir aussi. »
Installation des Scalabriniens et canonisation de leur fondateur
Cela pourrait paraître anecdotique mais cette installation est révélatrice de l’orientation de l’Eglise sur cette thématique. Au tout dernier mercato paroissial, les prêtres de la société Jean-Marie Vianney ont laissé la place la semaine dernière, dans la très symptomatique paroisse de Calais, à des missionnaires Scalabriniens. Ils vont débuter rapidement leur mission tournée vers les migrants. Le père Carlos Caetano, venu aider ses confrères à emménager, est le supérieur des Scalabriniens : « Nous sommes une congrégation missionnaire au service de la mobilité humaine. Mgr Scalabrini, en 1887, avait compris que l’immigration ne serait pas un phénomène temporaire mais une réalité structurelle dans la société. Et donc il s’est dit l’Eglise doit accompagner, doit se mobiliser pour s’assurer que tous ces mouvements de population soient accompagnés par la lumière de l’Evangile. »
Le fondateur des Scalabriniens, mgr Jean-Baptiste Scalabrini sera canonisé le 9 octobre 2022 au Vatican.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !