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Syrie : faire pression pour garantir une société ouverte et tolérante

RCF Bretagne, le 9 décembre 2024 - Modifié le 9 décembre 2024

Il aura fallu 10 jours à une coalition de rebelles pour faire tomber 53 ans de dictature en Syrie. Bachar Al Assad et sa famille ont fui en Russie… Et maintenant ? Quelles perspectives pour le pays ? Décryptage du Père Pierre Brun-Le Gouest, délégué à L'Œuvre d’Orient du Morbihan, doctorant en droit canonique oriental à l’Institut Catholique de Paris, collaborateur à l’Ordinariat des orientaux de France.

Le Père Pierre Brun-Le Gouest, délégué à L'Œuvre d’Orient du Morbihan. Le Père Pierre Brun-Le Gouest, délégué à L'Œuvre d’Orient du Morbihan.

Depuis quelques jours, en Syrie et à travers le monde, nous avons assisté à des scènes de liesse. Vous connaissez bien ce pays, vous y étiez il y a moins d'un an. Votre réaction pour commencer ? 

C'est la surprise, de voir un changement de régime s'accomplir de façon extrêmement rapide. Une armée syrienne qui était l'ombre d'elle-même et qui n'a pas cherché à combattre. Il y a aussi une question de timing. Cette opération est aussi le fruit d'un positionnement turc et israélien à l'endroit d'un Iran affaibli, en vue, pour les Israéliens, de porter un coup fatal à l'arc chiite qui reliait l'Iran à Gaza et au Liban. Et pour la Turquie, d'obtenir enfin enfin, de la Syrie, la possibilité de renvoyer le million 500 000 réfugiés, que le gouvernement turc souhaite voir revenir, dans son pays, la Syrie, ainsi que de sécuriser sa frontière sud, qui est limitrophe à une présence, en Syrie, des Kurdes, considérés comme une menace pour le gouvernement turc.

Parlez-nous de l'état du pays et de la population...

J'ai eu l'occasion de m'y rendre à trois reprises entre 2020 et l'année dernière. La zone dans laquelle j'ai évolué était une zone bien tenue, pour ainsi dire, par le régime mais exsangue à tout point de vue au niveau des services des infrastructures, au niveau militaire (cela explique notamment la rapidité avec laquelle la conquête a pu se faire). Le pays a connu une sortie de guerre pour ainsi dire sans fin. Les destructions qui ont eu lieu dans les années 2010-2012-2013 et qui se sont poursuivies jusqu'en 2016-2017 n'avaient pas fait l'objet de véritables reconstructions. L'appareil industriel était à terre, les services publics et l'ensemble de la région connaissaient une crise économique extrêmement importante qui voisinait la famine. Je me rappelle de familles amies qui n'avait qu'un vrai repas par semaine... Tout cela explique la liesse que l'on croit percevoir dans les réactions publiques des uns et des autres. De façon plus ou moins crédible, la chute du régime est symboliquement accueillie pas simplement comme une libération politique. Je pense qu'une partie du peuple croit que la situation matérielle du pays s'en trouvera changée.

Alors un mot justement sur la figure d'Abou Mohammed al-Joulani, qui à la tête de la coalition a renversé le régime. Il est passé d'un vocabulaire fondamentaliste a une parole plus modéré. C'est un mouvement sincère ou opportuniste selon vous ? 

C'est une figure initialement marquée par une conviction extrémiste. Il est encore considéré comme terroriste par les États-Unis. Depuis 3 ans, il y a, en effet, de sa part, une volonté d'apparaître comme rassembleur. Mais il ne faut pas trop mettre l'accent sur cette figure, parce que même si aujourd'hui, il incarne quelque chose au travers de la manière dont il s'est saisi, avec ses hommes de Homs et de Damas, les deux plus importantes villes de la Syrie, la réalité objective de ces factions militaires est beaucoup plus complexe. Passé le moment médiatique des incarnations charismatiques, il faudra voir dans quelle mesure cette figure s'installe durablement comme une alternative en terme de pouvoir.

Quelle garantie justement de sécurité pour les minorités, on pense notamment aux chrétiens ?

Il est très compliqué de se faire une idée de ce que sera la Syrie dans trois semaines. Lorsque des djihadistes de l'État Islamique  sont entrés à Mossoul, les premières semaines étaient quasi idylliques, pour grossir le trait. Les déclarations politiques de l'État islamique, les initiatives sociales, le soutien alimentaire ont bénéficié la population de Mossoul... Les premières semaines peuvent être trompeuses. Les populations civiles sont au cœur de ces événements récents et complexes à décrypter. 

Pour vous parler de la société et des chrétiens, j'ai été, ces dix derniers jours, extrêmement liés à plusieurs d'entre eux. C'est un peuple qui, comme le reste de la société civile, est épuisé par le manque de moyens matériels, par l'instabilité. L'ensemble de ces événements portent un vrai coup au moral. A cela doit être ajoutée la peur évidente pour des semaines à venir. Les évêques sont restés. Tous ont montré un vrai désir d'être au cœur de la destinée syrienne comme des artisans de paix et de dialogue. Les figures épiscopales apportent évidemment quelque chose à la situation présente même si pour autant le futur est hypothéqué...

L'ONU appelle à juger les crimes du passé commis par Bachar Al Assad. C'est essentiel selon vous pour permettre aux pays d'avancer ?

La question se pose pour la réconciliation civile de la Syrie mais il me semble qu'elle n'est hélas pas d'actualité. L'enjeu premier est d'asseoir ou de garantir, puisqu'il s'agit de l'ONU, que le gouvernement et l'institution politique qui va voir le jour dans les prochaines semaines se donne les moyens d'un état de Droit, d'un respect des libertés publiques, d'un respect des confessions religieuses... et que les éventuels désir de vengeance ou l'instauration d'un pouvoir qui pourrait être aussi autoritaire que le précédent soit évité. Il est important aujourd'hui, avant tout, pour les différents Etats, de faire pression autant que possible sur les nouveaux acteurs syriens pour aller dans le sens du respect des personnes et des biens et d'une société ouverte et  tolérante, capable de servir le bien de tous les Syriens. 

 

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