La mobilisation nationale, historique, des magistrats, greffes, chefs de juridictions et avocats, a été suivie à Tours et à Blois ce mercredi 15 décembre. Reportage.
C'est une mobilisation historique en France chez les magistrats, greffes, chefs de juridictions. Cette profession qui prend d'habitude très peu la parole, s'est mobilisée ce mercredi 15 décembre, et notamment au tribunal judicaire de Tours et de Blois.
"Mon sentiment, c'est que j'adore mon métier et que je veux avoir les moyens de le faire correctement", lance Bérangère Théry. Cette substitut du procureur était présente au tribunal de Tours mercredi. Elle fait partie des neuf premiers signataires de la tribune du Monde. Paru il y a près d'un mois, ce texte compte désormais plus de 7 000 signatures (3 500 environ au départ), soit près de 60 % des magistrats en France.
Mais pourquoi les voix se lèvent maintenant ? Il y a d'abord un évènement qui a choqué dans la profession : une magistrate s'est suicidée dans le Nord de la France cet été.
"Le suicide de notre collègue nous a profondément choqués et a été le point de départ", explique Bérangère Théry. "Et en discutant autour de nous, on s'est rendu compte que cette situation de souffrance, c'est parce qu'on ne peut pas faire notre travail correctement. On s'est dit qu'il fallait parler, qu'il fallait dénoncer ces conditions de travail."
"Aujourd'hui, je suis là parce que j'avais un idéal quand je suis rentrée dans la magistrature, raconte Camille, substitut du procureur placée. Et quand on arrive dans le tribunal et qu'on se rend compte qu'on ne peut pas tout appliquer comme on le souhaite, c'est triste."
Christophe Regnard, président du tribunal judiciaire de Tours, explique que ces problèmes ne datent pas d'hier : "Déjà depuis 20 ans, on se plaint d'un budget de la justice et d'un nombre de magistrats très insuffisant ".
Mais, aujourd'hui, la jeune génération de magistrats, comme Camille ou Bérangère Théry, entrées au tribunal en septembre 2020, fait la différence.
"Aujourd'hui, on a des nouveaux collègues, plus jeunes. C'est une nouvelle génération qui ne souhaite plus être dans la logique de ma génération, où il y avait une conscience très importante du service public et où on pouvait aussi travailler jour et nuit en se disant, "On le fait pour le justiciable." "
"Il y aujourd'hui une quête de sens chez cette jeune génération. Ces jeunes collèges, et ils ont raison, se disent qu'on ne peut pas continuer à travailler comme ça, et que le service rendu à la population n'est pas le bon." Christophe Regnard, président du tribunal judiciaire de Tours.
Et, il y a un autre élément déclencheur, estime Christophe Regnard : "la communication un peu victorieuse du garde des Sceaux actuel, qui, depuis un an et demi explique que tout est réparé, que les budgets sont là et que les effectifs ont été donnés".
A Tours, comme à Blois, ces manques de moyens humains se ressentent au quotidien explique cette greffière blésoise : "On nous en demande beaucoup et de plus en plus. D'un côté, on nous dit qu'on est essentiel aux rouages de la justice, mais on ne nous valorise pas du tout. Et des collègues partent dans d'autres administrations où ils se sentiront pus valorisés."
Bérangère Théry, également déléguée régionale en Centre-Val-de-Loire du syndicat de la magistrature, explique que le tribunal de Tours ne fait pas exception : "J'ai déjà connu des audiences qui finissent à 23 heures. Dans ces moments-là, on n'est plus en capacité de réfléchir aussi bien qu'au début de l'audience".
Le tribunal de Tours est quant à lui doté de 31 juges, 10 procureurs et 120 fonctionnaires de greffes, et "c'est théorique, précise Christophe Regnard. C'est sans compter les temps partiels, les arrêts maladie etc. ".
Selon la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, la France est mauvais élève : en 2018, 69 euros par habitant étaient consacrés au système judiciaire. C'est moins que les 84.3 euros en moyenne pour les pays européens qui ont le même PIB que la France. Et, c'est encore moins que l'Allemagne, qui consacrait en 2018 131 euros par habitant pour sa justice.
Les magistrats mobilisés dénonçaient aussi des moyens techniques insuffisants dans les tribunaux.
Il n'y a par exemple toujours pas le wifi dans le tribunal de Tours, assurait le président, Christophe Regnard.
Ce sont aussi des bugs réguliers, explique Bérangère Théry : "à peu près chaque semaine, nos logiciels ne fonctionnent plus pendant une demi-heure, voire une heure. On ne peut plus travailler correctement".
Des avocats ont aussi rejoint et soutenu la mobilisation à Tours.
Un acteur de la vie locale qui fait l’objet de l’actualité, est interrogé par un journaliste de la rédaction.
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