La démarche mérite d’être saluée. Car l’affaire était très mal emmanchée pour le groupe français, géant mondial du bâtiment travaux publics et des concessions. L’ONG Sherpa, qui regroupe des juristes décidés à "protéger et défendre les victimes de crimes économiques", l’avait accusé de "travail forcé" dans son chantier du tramway et du métro de Doha, la capitale totalement artificielle de cet émirat du Golfe persique bâti sur une énorme réserve de gaz naturel.
Oui. Après avoir parlé de "propos diffamatoires", Vinci a reconnu qu’il conservait les passeports de ses salariés. Une pratique relativement habituelle dans les pays du Golfe, basée sur la Kafala, le parrainage des étrangers par un quatarien, qui permet tous les abus en matière de droit du travail. Sensible comme tous les autres grands groupes à sa réputation, Vinci a fini par agir vraiment…
Comme le raconte aujourd’hui dans La Croix notre spécialiste, Jean-Claude Bourbon, qui s’est rendu en début de semaine à Doha à l’invitation de Vinci, le groupe a commencé en 2011 à recruter lui-même ses salariés en Inde et au Bangladesh, évitant ainsi les circuits douteux d’intermédiaires, qui obligent les migrants à payer de fortes commissions pour obtenir un emploi.
En 2013, il a rompu les contrats de ses sous-traitants qui n’acceptaient pas de revoir leurs pratiques. Et en 2014, sa filiale a été la première entreprise du pays à organiser des élections de représentants des travailleurs, tout en inaugurant une base vie relativement confortable pour ses salariés.
Surtout, Vinci a signé l’an dernier un accord avec le syndicat international des travailleurs du bâtiment prévoyant d’améliorer de manière continue les conditions de travail dans le pays. Et en janvier de cette année, des syndicalistes français de la CGT, de la CFDT et de la CFE-CGE sont venus au Qatar pour réaliser un audit de la situation.
Le rapport constate le "caractère éthique des pratiques et d’emploi de QDVC", ainsi que le "bon niveau de santé et de sécurité observé sur ses chantiers". Il relève également que "les travailleurs perçoivent un salaire supérieur au salaire minimum et déclarent être globalement satisfaits de leurs conditions de travail". Un vrai satisfecit.
Jean-Claude Bourbon les a évidemment interrogés hier. L’ONG a répondu qu’elle "se félicite s’il y a eu des améliorations", tout en ajoutant que "cela n’exonère pas le groupe des faits passés".
Il est désormais en pointe. Mais globalement, les choses bougent : l’Organisation internationale du travail (OIT), qui avait ouvert en 2014 une enquête pour travail forcé sur les chantiers de la Coupe du monde de foot, prévue au Qatar en 2022, a accepté d’ouvrir un bureau à Doha en avril 2018. Elle se réjouit notamment de la mise en place d’un salaire minimum et de l’abandon de la rétention des passeports. Un corps d’inspecteurs du travail vient, par exemple, de voir le jour, mais son efficacité et ses moyens restent à prouver.
Reste que le Qatar ne dispose toujours pas d’un code du travail et ne reconnait toujours pas les syndicats. Beaucoup reste à faire, en particulier pour les 173 000 employés de maison que compte le pays. Ils et elles sont souvent honteusement exploités. Sherpa a encore du pain sur la planche. Espérons qu’ils sera aussi efficace pour faire bouger les autorités qataries qu’il l’a été pour Vinci !
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